Il y a deux feux à l’origine du conflit au centre d’Athena : celui qui ouvre le récit – un cocktail molotov lancé sur un commissariat après une apparente énième bavure policière – et celui sur lequel il se referme – un brasier allumé par une milice d’extrême droite pour détruire les preuves de la supercherie. En voulant dévoiler, par un flashback en guise d’épilogue, la véritable origine du mal, Romain Gavras glisse d’un bout à l’autre du spectre politique, figurant dans un premier temps une révolte venue des quartiers populaires avant de verser dans un imaginaire proto-fasciste. Logique : des crânes rasés de Notre jour viendra, son premier long, à la bande d’adolescents armés de matraques et tout de cuir vêtus du clip qu’il a réalisé pour « Stress » de Justice, le réalisateur navigue depuis ses débuts entre l’imagerie streetwear de la banlieue et celle, militaire, du néo-nazisme et du hooliganisme. « Avec les survets on est comme une armée » dit l’un des jeunes du film au moment de présenter à son leader Karim les uniformes que les révoltés seront amenés à porter tout au long du récit. Cette double fascination – voire cette confusion – se traduit ici par la descente aux enfers d’un militaire local qui, après avoir voulu apaiser la colère des jeunes du quartier, finit par céder à son tour aux sirènes d’une ultraviolence vengeresse et sans retour. Ce qui excite visiblement Gavras dans la banlieue réside moins dans la mise en scène d’une lutte collective face à l’injustice et aux violences policières (point de départ du film, délégitimé par l’épilogue), que dans la représentation d’un basculement aveugle vers la guerre civile et l’autodestruction.
Le dispositif choisi pour filmer les combats – de longs plan-séquences arrimés aux corps des personnages principaux (un CRS et une fratrie hétérogène composée d’un militaire, d’un trafiquant et d’un indigné inarrêtable) – témoigne d’une même excitation pour l’affrontement direct : Gavras bande les muscles en jouant avec le feu, avec un plaisir manifeste à mettre en scène la banlieue comme une zone de guerre, caméra embarquée au cœur de la mêlée. Jamais à une contradiction près, le cinéaste ne se cache pas non plus de vouloir réaliser un péplum quasi abstrait (contrairement à Montfermeil dans Les Misérables, aucune cité ne porte le nom d’Athena), en iconisant à intervalles réguliers ses personnages comme s’il s’agissait de sculptures antiques (comme dans le clip réalisé par Gavras pour « No Church in the Wild » de Jay‑Z et Kanye West). Une entreprise à laquelle concourent également les décrochages systématiques de la caméra, qui après avoir suivi tel ou tel personnage finit parfois par s’élever dans les airs pour dresser, via quelques plans d’ensemble aux atours mythologiques (Athena assiégée par les CRS comme Sparte par les Romains), un parallélisme entre la cité francilienne, marginalisée par les politiques d’urbanisation et les médias, et la cité grecque, poumon de la démocratie athénienne. La forme du film de guerre au ras du sol (avec secousses et gros plans sur les visages rongés par la colère) cohabite ainsi avec une esthétique publicitaire et clipesque bien plus aérienne. De sorte qu’en voulant assouvir tous ses fantasmes en même temps, Gavras se retrouve à maquiller les failles de son édifice brinquebalant à grands renforts de fumigènes et de pirouettes scénaristiques, jusqu’à un dernier tiers aberrant qui s’en remet, pour achever le tour de manège, à un archétype de terroriste bon marché (celui du radicalisé nihiliste et suicidaire, prêt à tout faire sauter). Au-dessus des flammes, il n’y avait en fait qu’un écran de fumée.