Une intrigue vue, revue et prévisible : un ado plutôt asocial, « pensionnaire » d’un centre de détention pour mineurs, cherche sa réinsertion en travaillant là où on ne l’attend pas – dans une entreprise de pompes funèbres. Le contact quotidien et difficile avec la mort (alors qu’il a été précisément condamné pour meurtre) lui fait reprendre conscience de sa propre vie et de son avenir, tandis qu’une facétie du hasard l’amène à chercher la trace de sa mère qui l’a abandonné ; parallèlement, ses exercices physiques de natation, qui l’obligent à maîtriser son souffle, l’amènent à exhaler la violence et la douleur qu’il renferme. Voilà du limpide, a priori sans surprise, un vrai programme qu’on pourrait voir d’un mauvais œil en usant et abusant du mot « cliché » à chaque étape. Ce qui serait un peu hâtif sachant que le programme ainsi énoncé ne ferme jamais la porte à une approche non formatée, consciente et pénétrante de l’individu/personnage. Il suffit que le cinéaste aux manettes y croie, à la réalité de cet être tourmenté, à la possibilité de sa rédemption par le réapprentissage physique – qu’il y ait foi au-delà des lignes du scénario et des canons du genre.
Justement, Karl Markovics y croit. Assez pour ne jamais forcer le trait et exprimer le plus en usant du minimum de détails (la première scène, courte et abrupte, sait poser le personnage et son fardeau de façon surprenante, tout en coupant court à l’emphase). Assez pour laisser de la place pour le non-dit et l’inexpliqué, accepter que tout ne se voie pas attribuer une raison, un début et une fin : ainsi, la façon dont, à la faveur d’une bagarre, le regard jeté sur le jeune criminel par son collègue passe du mépris au respect n’est jamais clarifié, demeurant dans le cheminement intérieur muet des personnages. Assez, enfin, pour laisser vivre sa mise en scène, la laisser se positionner à l’écoute de ce parcours et des émotions qui en affleurent, au-delà d’une certaine école formelle qui pèse sur elle, bien perceptible et, pour tout dire, peu sympathique.
Sortie d’école
Ce n’est pas qu’on aime taper sur les cinéastes autrichiens – même si certains d’entre eux, comme Michael Haneke, affectionnent de se faire détester. Seulement, devant la masse de films des réalisateurs les plus largement exportés d’Autriche à l’international et donc en France (Haneke, Jessica Hausner, Ulrich Seidl, Götz Spielmann…), il se dessine indubitablement un certain culte de l’austérité de l’image, d’une esthétique prétendant à l’anti-esthétisme, d’une raideur formelle jouant le refus de la complaisance alors même qu’il s’agit d’une posture comme les autres. Il est possible que cela tienne aux habitudes des chefs opérateurs, notamment les plus demandés, Martin Gschlacht (qui officie sur Nouveau souffle, mais qui produit aussi ailleurs) et Christian Berger le collaborateur de Haneke. En l’occurrence, dans Nouveau souffle, on constate le retour d’une technique déjà vue dans cette tendance, où le cadre s’efforce d’aplanir les perspectives et d’étouffer tout effet de relief, n’ouvrant à la profondeur de champ que dans l’axe, forçant l’objet du filmage à se conformer aux limites rectangulaires. L’image y semble dès lors réprimée, soumise à un dispositif rigide qui en souligne les symétries et dissymétries entre les moitiés gauche et droite, comme si la caméra se faisait l’arbitre d’un face à face conflictuel permanent – et c’est plus perceptible encore quand la durée d’un tel plan s’allonge. Il pointe ainsi dans la mise en scène une menace déjà confirmée dans des films comme Caché, Le Ruban blanc ou Revanche : celle d’un arbitraire, d’une posture de juge et de démiurge dont le degré relatif de pertinence de l’observation ne conclut qu’à son autosatisfaction non assumée.
Or, si Markovics a certainement été quelque peu influencé par ce cinéma-là – à moins qu’il ne laisse juste agir la « touche Gschlacht » – il est vite évident qu’il ne compte pas se laisser brider par la technique, que la posture d’observateur froid et clinique qui lui est offerte un peu trop facilement ne lui suffit pas pour exprimer la charge émotionnelle qu’il vise. Son sujet, l’ouverture progressive d’un être fermé, trouve ainsi une résonance assez frappante dans la façon qu’a la mise en scène de faire mine d’appliquer ce postulat rigide de composition de plans, puis de le secouer par des déplacements inattendus : allers-retours inopinés des personnages, plans refusant de s’attarder plus que nécessaire, distance toujours calculée mais visant à la proximité et non à la mise en bocal. Jusqu’à ce travelling latéral, vers la fin, quittant un personnage pour un quai de métro et qui en devient déchirant, adoptant le regard du héros qui tourne une page en laissant une vie derrière lui. La posture originelle se voit ainsi transformée en un point de vue sincère et empathique sur le sujet, et le petit criminel est soudain moins seul. Un jeune personnage lutte pour se libérer du carcan qui sclérose son corps et son esprit, un « jeune » réalisateur travaille à secouer la tendance esthétique qui pèse sur son cinéma: un parallèle intrigant se dessine, des promesses aussi.