Après Voyages en 1999, Emmanuel Finkiel revient au thème de l’exode, du transport des êtres qui ne trouvent ni de lieu pour vivre ni de place dans cet espace confiné qu’est l’Europe. En quête d’ « images fortes », l’ancien assistant de Kieslowski filme avec émotion et sobriété la souffrance des uns, la misère des autres, et l’errance de tous en mal de sens.
Filmer le départ, l’arrivée, le voyage intime ou clandestin, voici l’objectif de plusieurs films dont les sorties se chevauchent depuis quelques mois : loin du presque grotesque Éden à l’ouest de Costa-Gavras, ou même du sympathique Welcome de Philippe Lioret, Emmanuel Finkiel a choisi de mettre en parallèle plusieurs destins de conditions sociales différentes, histoire de brouiller les pistes du cinéma militant, et de faire de son Nulle part, terre promise une réflexion sur les affres des changements d’espace, rêvés, fantasmés, plutôt qu’une énième description brute, ou maladroitement détournée, de la condition des immigrants, clandestins ou non. La chaîne Arte avait commandé il y a quelques années cinq court-métrages à cinq réalisateurs différents. Parti pour filmer le transit des Kurdes vers Calais, Finkiel est passé, peu à peu, comme ses personnages, à un voyage plus complet, et plus nuancé. Dans la multitude des langages, des peaux, des acteurs – professionnels ou amateurs –, le cinéaste, trop rare, évoque la recherche universel d’un chez-soi, et ainsi l’impossibilité d’un espace stable pour chacun sans aller-retours, sans atermoiements, et sans espoir.
S’il ne reprend pas tout à fait la même construction que pour Voyages, Finkiel développe ici une nouvelle fois son amour du chassé-croisé narratif : un cadre dynamique, pour qui le voyage est d’abord professionnel, connaît peu à peu la sensation d’appartenance à un lieu ; lui qui semble vide en partant se construit une forme de « terre promise », de repères spatiaux et humains. À ses « côtés », une étudiante parcourt l’Europe pour remplir sa caméra de représentations physiques de la misère et des pays qu’elle traverse. Son parcours personnel, initiatique, n’est cependant expliqué ou souligné avec emphase. Car le cinéaste ne s’intéresse pas tellement dans ce film précis aux personnages faits de passé ou d’amertume du présent, il filme les corps et les sensations qui se meuvent d’un endroit à un autre, d’un être à un autre, parvenant non à croiser bêtement les trajectoires différentes, mais à former une danse, à tisser un unique fil où comptent davantage les esprits que les conditions sociales. Ils filment les respirations, les errements vains, et non les moments de basculement de chacun. Aux deux premières fuites citées s’ajoute celle d’un Kurde et de son fils qui cherchent à atteindre l’Eldorado occidental qui devrait assurer, à la fin du voyage, une vie meilleure.
Parti sur les routes d’Europe sans scénario déterminé, Finkiel, comme ses personnages, a « improvisé » au fur et à mesure la mise en scène de ces constructions d’identités – faites de chair, de sens, et, bien entendu, de mouvement dans l’espace : si l’obsession sensorielle est bien présente, elle ne se développe pas sans une pensée nécessaire et naturelle du temps. Chaque personnage évolue en même temps qu’il est filmé, sans ellipses, sans références explicites à un chemin antérieur ou à un avenir fermé. Il donne à ces histoires une force, une simplicité qui ne prétend ni juger les pays, ni juger les personnages. Sortant d’une narration classique et jouant sur l’idée d’un réel reconstitué, il entre ainsi dans une intimité qui ne sacrifie pas l’émotion sur l’autel de la pose ou de la prise de parti. Tandis que les deux Kurdes épient avec envie l’environnement dangereux d’un espace illégal pour eux, le cadre de la caméra de Finkiel comme celui de l’étudiante apprennent à regarder en face ces destins et à les appréhender frontalement, sans retour discursif du réalisateur. Et ce n’est d’ailleurs qu’en constatant de leurs yeux les conséquences de ce qui est filmé ou ignoré que chacun entre dans une vie plus ou moins heureuse. Chacun possède au départ son manque d’amour, de sociabilité ou de pain. Tous cherchent à le combler. Et ce n’est pas tellement l’arrivée qui importe, mais, hymne au voyage oblige, le cheminement vers la lumière ou l’ombre. Tout en gardant sa poésie frôlante, Finkiel montre avec grâce la difficulté de parvenir à trouver une terre, promise ou non.