En pleine révolution #metoo, une réponse entièrement féminine à la trilogie de Steven Soderbergh sur des gentlemen cambrioleurs, où seule une poignée d’actrices (Julia Roberts et Catherine Zeta-Jones) tenait tête tant bien que mal à un casting 100% testostérone, semble a priori une bonne idée… un brin opportuniste, mais forcément réjouissante. Le casting d’Ocean’s 8 est un coup marketing de génie : aux côtés des superstars Sandra Bullock, Cate Blanchett et Anne Hathaway, on retrouve une Britannique éclectique (Helena Bonham-Carter), une des plus grandes comédiennes des séries contemporaines (Sarah Paulson), une star de la pop (Rihanna), un joyau de la comédie US (l’américaine d’origine indienne Mindy Kaling) et la rappeuse/actrice/présentatrice télé Awkwafina, américaine d’origines chinoise et sud-coréenne. Un véritable condensé de diversité culturelle à tous les niveaux qui pourra agacer les plus grincheux mais évoque immanquablement une forme d’hommage aux plus belles heures de l’âge d’or hollywoodien, quand George Cukor réunissait Norma Shearer, Joan Crawford, Rosalind Russell, Paulette Goddard et Joan Fontaine dans Femmes (1939), sommet de comédie sophistiquée, maintes fois imité mais jamais égalé.
De la sophistication, c’est précisément ce qui fait cruellement défaut à Ocean’s 8. Gary Ross, réalisateur du premier Hunger Games (pas vraiment un parangon de coolitude), tente de reproduire la nonchalance et la décontraction des Ocean’s Eleven sans jamais réussir à saisir ce mélange d’efficacité et de légèreté qui ont fait leur succès (malgré une qualité déclinant d’un film à l’autre). Reproduisant le schéma classique en 4 actes des films précédents (constitution de l’équipe / préparation du casse / exécution / arnaque de la police avec un petit twist pour faire bonne mesure), le film se traîne dès ses premières minutes. La faute à un scénario paresseux qui ne tente jamais d’insuffler un peu d’originalité dans une recette tellement éprouvée qu’elle en a perdu toute sa saveur, et plus particulièrement à des dialogues consternants de platitude. De blagues réchauffées en situations mollement rocambolesques, les mots se perdent dans la bouche de comédiennes venues encaisser leur chèque en assurant le minimum syndical.
Le regard dans le vide
Sandra Bullock, en sœur arnaqueuse du personnage incarné par George Clooney dans les films de Soderbergh, semble éteinte, cadenassée dans la pose d’une gentille truande tellement concentrée sur le coup qu’elle prépare qu’elle en devient soporifique. Blanchett fait littéralement de la figuration et les autres actrices sont réduites à jouer les utilités, à tel point que l’on se demande : à quoi bon embaucher une merveille de drôlerie comme Mindy Kaling, si c’est pour la cantonner à un second rôle transparent ? La question vaut pour toutes les actrices, condamnées à ébaucher des personnages à partir de rien, au service d’un scénario bâclé qui échoue à faire de l’inversion des genres autre chose qu’un argument publicitaire. Sans background, sans aspérités, les personnages d’Ocean’s 8 rappellent le bling des deux films Sex & the City, qui avaient fait disparaître tout le caractère joyeusement irrévérencieux de la série au profit d’une romance fédératrice et terriblement conventionnelle. Dans Ocean’s 8, c’est encore pire : l’argument pseudo-féministe (toutes copines pour voler des bijoux !) sert d’écran de fumée pour masquer une vision archi-rétrograde et caricaturale de la société américaine : les Blanches ont beau être des voleuses, elles s’habillent en couture, pilotent des motos ou vivent dans des pavillons chics, pendant que la Black fume de la beuh, que l’Indienne bosse dans une bijouterie cheap et que l’Asiatique fait les poches dans le Queens.
Dans le lot, seule Anne Hathaway parvient à tirer son épingle du jeu en jouant avec un plaisir communicatif une diva hollywoodienne particulièrement gratinée. Elle en fait des tonnes, mais parvient au moins à insuffler un peu de fantaisie et de rythme dans une mise en scène qui en manque singulièrement : à l’inanité de l’écriture se superpose une absence totale de regard de la part d’un metteur en scène qui semble considérer que les fondus enchaînés fantaisistes sont le summum de la comédie néo-vintage. Le démarrage en fanfare du film au box-office américain augure d’un Ocean’s 9. Souhaitons aux actrices, si elles choisissent de rempiler, d’avoir cette fois-ci aussi le pouvoir de choisir leur scénariste et leur réalisateur.