Sobrement (ou pompeusement) intitulé « Beirut » dans sa version d’origine, Opération Beyrouth se présente donc comme un film-catalogue, ressassant en 1h50 une vision qui se voudrait englobante de la capitale libanaise, durant sa période la plus sombre (la guerre civile de 1975 à 1990). Dix ans après avoir quitté la ville, un ex-diplomate américain, Mason Skiles, est renvoyé sur place, en 1982, afin de négocier la libération de son ancien partenaire, pris en otage par la milice palestinienne (l’OLP), principale belligérante de la guerre civile. Le film débute ainsi par un panorama éclaté du Liban des années 1970, s’appuyant sur la vision nostalgique des Libanais, qui voyaient le pays comme un halo de liberté quasi utopique (au cœur d’une zone géopolitique brûlante), avant d’effectuer un saut temporel.
Conquêtes orientales
L’enjeu est pourtant de taille : oser revenir sur une période historiographique difficile à saisir dans sa globalité, et ce encore de nos jours (même si la décennie la plus complexe, entre 1975 et 1982 donc, est ici omise). Alors même que les productions libanaises rechignent à développer les projets sur le déroulement de la guerre (autant par manque d’informations solides que par souci politique), il est donc à première vue étonnant de voir un projet américain aborder si crânement le sujet. Le scénario opte pourtant pour un genre calibré, le film d’espionnage et le thriller politique, dont le principe repose en général sur une totale lisibilité des enjeux — des objectifs clairs et centralisés (éliminer une cible, récupérer un individu, etc…) — alors même que le conflit libanais brillait par son illisibilité. Il s’agit donc ici plutôt d’imposer un scénario à son environnement contextuel, et non vraiment l’inverse.
Le problème s’avère donc inhérent à la plupart des productions américaines exportées en milieu exotique : imposer un récit de traque et une mécanique bien huilée malgré tout, au détriment de l’arrière-plan historique (on pourrait remplacer l’OLP par l’armée du Mahdi et replacer l’histoire en pleine guerre d’Irak, à Nadjaf, en 2004, cela ne changerait finalement pas grand-chose au contenu). De la guerre civile libanaise, Opération Beyrouth ne tire finalement que des images-rumeurs, reposant sur les quelques traces visuelles du conflit (les célèbres photographies de Beyrouth en ruine imbriquées dans l’imaginaire des années 1980) vaguement reconstituées à Tanger.
Vision fragmentée
L’espace est ainsi tamisé, élagué, brassé aléatoirement selon les besoins des péripéties. Et si le film a le mérite d’évoquer les lignes de démarcation du centre de Beyrouth, séparant la ville en deux parties (les Chrétiens à l’est, les Musulmans à l’ouest) par la présence régulières de checkpoints tenus par les miliciens, les espaces en eux-mêmes ne sont pas vraiment délimités, les protagonistes traversant l’ensemble de la ville sans grande restriction. L’ouverture du film résume finalement toute cette confusion géographique, par sa manière d’employer quelques images d’archives éparses présentant le paradis libanais (on y voit des filles en bikini, des hommes faire du jet-ski, des belles montagnes enneigées) et de résumer la tension générée par l’arrivée des réfugiés palestiniens à coups de métaphores un peu simplistes (le personnage principal prenant l’image d’une auberge prise d’assaut pour expliquer la situation à des ressortissants étrangers). Lors du retour au Liban, Skiles redécouvre ainsi le pays, et le réalisateur Brad Anderson, pour l’accompagner, multiplie les gros plans touristiques, selon l’idée paradoxale d’un étalage de détails anodins et anecdotiques — notamment l’hétéroclicité quasi surréaliste et insolite pour tout étranger au Liban (un plan peut retenir l’attention, des femmes entièrement voilées, suivies de deux nonnes). Estimant alors sa tâche contextuelle accomplie, la mise en scène peut donc librement dérouler son récit de courses-poursuites et de négociations musclées, imitant les canons du genre de John Le Carré. S’appuyant sur un visuel un peu impersonnel, à mi-chemin entre le filtre seventies et léché d’Argo et la nervosité tricotée de la série Homeland (héritée de Paul Greengrass et Doug Liman), cette représentation du Liban et cette histoire d’espions ne s’éloignent hélas jamais des poncifs attendus.