Needle, en anglais, c’est l’aiguille, et pas seulement à tricoter, mais aussi celle qu’on s’enfonce dans le bras pour s’injecter des substances pas tout à fait licites ni tout à fait bonnes pour la santé. « Needle Park » est le nom que donnaient les héroïnomanes new-yorkais des années 1970 (post-beatniks mais pré-SIDA) au parc où ils s’approvisionnaient. Quant à la panique, c’est celle qui s’empare de deux addicts, Bobby et Helen, lorsqu’une saisie de la police les met en grave danger de manque et menace de leur ôter la seule chose qui rend leur vie plus belle : leur amour débordant. Un film puissant et ravageur, dont les images quasi documentaires hantent longtemps.
Bobby rencontre Helen alors que celle-ci vient de se faire avorter. Coup de foudre. Helen, réservée et timide, petite provinciale perdue dans New York, s’accroche à Bobby, véritable pile électrique, concentré d’énergie, de débrouille et… d’héroïne. Mauvaise pioche ? Pas pour Helen. Par amour pour Bobby, pour mieux comprendre son monde ou peut-être par nécessité, elle s’enfonce elle aussi dans les sensations d’extase que lui procurent ses injections, se prostitue quand le couple doit se payer ses doses, subit sans rien dire, jusqu’au jour où elle dénonce Bobby, devenu dealer, pour sauver sa propre peau. Mais Bobby, lui, rêvait de l’épouser…
Drôle d’amour que celui d’Helen et Bobby. Ils ne savent, et ne sauront, quasiment rien de leur passé. Puisque leur avenir ne leur dit rien de bon, ils vivent le présent avec rage, traînant d’un squat à l’autre, riant des petits riens qui parsèment leur vie commune puis qui disparaissent progressivement alors que leur passion se consume dans la consommation d’héroïne. Ces deux antihéros, paumés et perdus, ignorant de la dépendance et du monde extérieur, inconscients du risque et de la fatalité, s’aiment malgré tout et malgré les autres, d’un amour si fort qu’il se passe de compréhension.
Si Helen et Bobby sont si attachants, c’est que Jerry Schatzberg s’est appliqué à les rendre « vrais ». Al Pacino (dont c’est le premier grand rôle, juste avant Le Parrain et Kitty Winn (merveilleuse interprète, justement récompensée par un prix à Cannes) adoptent un jeu très naturaliste sans être trop naturel, où l’improvisation tient sans doute une grande place, à la limite de l’autisme pour Helen et de la folie pour Bobby. Pour donner à ses héros cette puissance réaliste, Jerry Schatzberg (dont Panique à Needle Park était le deuxième long métrage) se fend d’une esthétique très documentariste qui annonce, en 1971, un nouveau mouvement artistique dans le cinéma américain. La structure narrative ne lésine pas sur les ellipses, le montage sur les coupures brutales ; quant au travail sur le son, il est novateur à l’époque : totalement dénué de musique, Panique à Needle Park est également un film où les bruits de la ville de New York, dans lequel le film est tourné comme à l’arraché, ont leur vie à part entière, couvrant parfois les dialogues, assourdissant le spectateur, comme pour mieux souligner la détresse inhérente à la vie urbaine.
Panique à Needle Park est surtout le premier film qui décrit point par point les ravages de la drogue, sans les sentimentaliser ou les embellir. Avec un sens du détail parfois insoutenable, Jerry Schatzberg montre toutes les étapes de la descente aux enfers : la préparation dans des laboratoires clandestins de la poudre brune, qui, venue des champs de pavot, finira dans de petits sachets en plastique ; la lente procédure calculée de l’héroïnomane remplissant sa seringue ; l’aiguille qui s’enfonce dans la veine du bras pendant de longues minutes (scène filmée en gros plan sur fond de discussion sentimentale entre Helen et Bobby, pour accentuer le contraste entre les facteurs de vie et ceux de mort), l’euphorie, où le drogué perd totalement conscience du monde qui l’entoure, puis l’overdose, qu’Al Pacino joue de manière si réaliste que la scène est à la limite du supportable.
L’amour de Helen et Bobby, emporté par une passion trop forte, trahi par la drogue, redevient une lueur d’espoir dans la scène finale, où les deux héros partent ensemble vers leur avenir incertain. C’était l’entre-deux générations : le peace and love optimiste et « opiumisé » des hippies avait laissé place au désespoir morbide des incompris du Viêt-Nam, mais la mort, la vraie, accompagnée de son compagnon de destruction, le SIDA, ne faisait encore que rôder.