Pour restituer l’atmosphère d’un polar, Régis Wargnier a cru qu’il suffisait de retranscrire pour des acteurs les personnages de Vargas, qu’il suffisait de plaquer une musique dite envoûtante sur des images sans lumière, qu’il suffisait de jouer au polar pour en faire un. Il s’est trompé, et c’est dommage.
Loin des romans pseudo-policiers au parfum de scandale du type Da Vinci Code, Pars vite et reviens tard, succès inattendu en librairie en 2001, s’était fait le modèle du renouveau polaristique français de grand public et de qualité. Régis Wargnier, dont on ne doute pas de la sincérité qu’il avait pour adapter l’œuvre de Vargas, s’est peut-être trop laissé séduire par le chant des sirènes du box office. Les grands mouvements de caméra, les retournements un peu appuyés, les froncements de sourcils, et l’acteur montant des films dits sérieux, José Garcia (depuis Le Couperet) sont bons pour les épopées historiques (et encore) comme le très grandiloquent et pourtant agréable Indochine. Pour l’adaptation de Pars vite et reviens tard, à l’intrigue complexe et aux personnages tout sauf caricaturaux, il eût fallu davantage de fantaisie, d’idées nouvelles, de surprise en somme.
Le commissaire Adamsberg est bourru, sans enfant, sans attache. Sa fiancée part vers des horizons plus voluptueux, mais les activités d’un tueur en série original vont le plonger dans une enquête aux moult rebondissements : des insignes curieux inondent les portes de la capitale, symboles de protection contre la peste bubonique médiévale. Comme dans toute intrigue digne de ce nom, le roman comme le film fourmille de personnages secondaires énigmatiques : un crieur sur la place Beaubourg qui lit des demandes plus ou moins farfelues, un vieux professeur de lettres classiques qui connaît la symbolique, et une jeune fille pas si classique que ses jolies courbes le laissent entrevoir. Mais chaque personnage rentre dans un cadre, dans un moment que le réalisateur veut bien lui accorder : ils sont immédiatement enfermés dans leurs rôles. Michel Serrault est le vieux sage, au milieu de ses Budé : il a donc le ton perspicace de celui qui comprend avant les autres et fait très très peur. José Garcia est le représentant de la police, qui agit hors du cadre de la loi et envoie régulièrement balader sa hiérarchie : d’une part, l’acteur, talentueux au demeurant, n’est pas vraiment aidé par des dialogues peu recherchés et des phrases récurrentes comme « c’est bien une phrase de flic ». Mais, d’autre part, José Garcia manque de ce flegme imperturbable qu’il aurait fallu insuffler à Adamsberg. Il passe très près de la caricature, et s’enfonce dans l’inintérêt.
Beaucoup de bruit pour rien. Pars vite et reviens tard est tant plombé par l’esthétique qu’on a voulu lui donner que l’on finit par délaisser la très construite histoire de Fred Vargas. Du noir, rien que du noir, pas de lumières, des panoramas peu inspirés sur une poursuite finale au-dessus de la Seine… on tente de s’accrocher à ce qui pourrait dépasser. Mais on ne trouve pas, on recense les maladresses ou les plans lénifiants, et l’on ne rentre pas dans l’enquête. Lorsque la caméra se rapproche des visages, on attend une entrée dans les personnages ; mais Régis Wargnier se contente de les placer dans une atmosphère qui tombe souvent à plat. Le rythme fait des va-et-vient jusqu’à l’hystérie de la dernière scène, où même le suspect principal n’est pas vraiment crédible. Le seul qui sort du lot est Lucas Belvaux, tout à fait intéressant en inspecteur à la masse, un peu humilié par son entourage, un peu émouvant en naïf pas si bête. Mais cela ne suffit pas, comme l’une des répliques, à l’image du film, carrée et sans saveur, le laisse pressentir : « T’as pas de temps à perdre… ça tombe bien, moi non plus ! » Nous non plus donc.