Le compositeur André Popp et son complice Jean Broussolle ont créé il y a de cela cinquante ans les aventures musicales de deux solistes, Saxo et Piccolo. Au départ, ce traité à la teneur pédagogique gravé sur microsillon avait pour seule ambition de faire reconnaître aux enfants les sons des instruments de l’orchestre. Quelques années plus tard et quelques albums vendus à travers le monde, André Popp compose La Symphonie écologique et embarque les notes, les clés, les cuivres, les cordes sur le versant de l’écologie. Il était évident qu’un jour Piccolo et Saxo naîtraient à l’image. Pour son premier film, Marco Villamizar a donc eu l’honneur de mettre en 3D les instruments de musique pour leur donner un nouveau souffle. Cependant, la facture est beaucoup plus sombre que les envolées joyeuses conçues jadis par André Popp. Ce Piccolo, Saxo & Cie joue sur deux tableaux : la gravité de notre monde actuel (guerres, racisme, religions) et l’apprentissage de quelques notes de musique. Un déséquilibre parfois convaincant mais qui perd de sa substance à cause du graphisme et de sa linéaire mise en image.
Il y a longtemps, du temps où l’orchestre symphonique s’entendait à merveille, les cuivres, les bois, les percussions jouaient de plaisir et de concert sans s’interrompre. Un jour pourtant, les clés, de sol, d’ut et de fa, disparurent et… Ainsi la note Do conte-t-elle la genèse de cette querelle ancestrale qui oppose toutes les familles d’instruments et qui leur fait petit à petit oublier la musique. Un Piccolo et un Saxo vont alors s’unir ensemble et prendre la responsabilité de sauver leur planète. Ils partent vers le monde du silence gardé par un métronome totémique. Là-bas, ils découvrent l’odieuse réalité : Docteur Marteau a conçu une machine infernale constituée de sons électroniques et espère que les clés qu’il a dérobées vont enfin vouloir de lui.
Conçu comme une fable politique, Piccolo, Saxo & Cie reprend les immondices du XXe siècle pour dénoncer la bêtise du genre humain. Le nazisme et le totalitarisme sont ainsi convoqués : l’embrigadement des pinceaux, tenailles et autres outils à la création de la machine infernale renvoie violemment aux images de défilés hitlériens, la vision des instruments de musique jetés au feu ne peut que bouleverser la mémoire collective en apposant l’horreur des fours crématoires. L’expressionnisme cinématographique n’est pas en reste et le Docteur Marteau rappelle le Docteur Mabuse de Fritz Lang ainsi que l’image contenue dans The Wall des Pink Floyd par Alan Parker, celle de marteaux embrigadés. Un peu de Metropolis aussi travaille dans ce monde détraqué. La machine, elle, est une image actualisée de la Tour de Babel peinte par Brueghel l’ancien. La folie de ce Docteur Marteau qui se croit grand musicien rappelle aussi le désir enfoui d’un Hitler se pensant grand peintre. Et lorsque grand-père Basson tente une diversion face aux outils pour sauver Piccolo et Saxo, il se met à jouer du swingue. Il y a du zazou là-dessous et l’idée que la musique est bien sûr une forme de résistance. Piccolo, Saxo & Cie est donc d’une violence rare et joue avec cet alliage dangereux : du divertissement au cœur de l’inacceptable.
Cependant, le graphisme et la mise en 3D ne sont pas à la hauteur de l’ampleur pédagogique dévolue à ce film. Si les instruments sont colorés joliment, jouent et dansent avec une certaine grâce, le décor, lui, pose problème. Dès le début, la vision de l’arène et de ses alentours n’arrivent pas à convaincre. Bien au contraire, un à‑plat de l’image, qui distingue certes les silhouettes des instruments, ne donne ni aux cuivres, ni aux bois, la possibilité d’habiter ce lieu. L’imaginaire de la planète est d’une trop grande pauvreté, décor et paysage se combinent mal avec les instruments. Ces grands champignons aux allures atomiques, ces arbres sans saveur, ces chemins sans éclat ne sont plus que fond et non décor. Aucun relief, aucune texture de l’image, les paysages sont d’une platitude non justifiés. Les étendues marines ne sont guère épargnées et la représentation de l’eau est mal rendue. Les rochers donnent l’impression qu’ils ont été « plastiqués ». Le réalisateur a souhaité donner un aspect 2D à son film, il a malheureusement échoué au seuil du décor. Les voix des personnages sont à leur tour édulcorées de toute saveur et les comédiens ne sont guère en phase avec leur instrument.
Malgré tout et hors le film, Piccolo, Saxo et Cie a l’insigne mérite de remettre en lumière ce compositeur aux mélodies si célèbres, André Popp. Papa du thème « Piccolo et Saxo », c’est également lui, André Popp, l’auteur du générique des Chiffres et des Lettres, de la musique de Babar, du « Porque te vas » de Jeanette (Cría Cuervos, Carlos Saura), de « Love is blue », etc. C’était un homme orchestre chéri par Brel, Mouskouri, Vian, aux refrains délicieusement surannés que ce Piccolo et Saxo remet en avant… et zic la musique.