Quelque chose cloche dans la toute première scène du Sens de la fête. Max (Jean-Pierre Bacri), traiteur qui connaît bien son métier, fait face à un couple plutôt inquiet quant au budget de leur mariage. Chacun essaie à son tour de négocier avec le professionnel des économies de bouts de chandelles, tandis que Max se projette déjà au téléphone dans les préparatifs plus immédiats d’un autre événement. Lorsque les deux fiancés lui disent qu’ils ne le trouvent pas très « inventif », le traiteur, piqué au vif, finit par tourner ouvertement en dérision l’absurdité de leurs propositions. D’un point de vue comique, la séquence étonne par sa mollesse : Bacri joue à contretemps, distille à côté du tempo des dialogues qui semblent pourtant taillés pour son habituel personnage de bougon au bon fond. C’est que la scène vaut curieusement moins comme mise en bouche du festin comique qui s’annonce – en dehors de cette introduction, le film est tout entier articulé autour de l’organisation d’une réception qui ne va évidemment pas se dérouler tout à fait comme prévu – que comme promesse narrative : ce que montrera ensuite le film, c’est que ces deux clients se sont trompés sur l’inventivité de Max et de son équipe.
Que raconte exactement Le Sens de la fête ? Alors qu’on pourrait croire que les cinéastes jouent la carte de la mise en abyme – l’organisation du mariage somptueux n’est en effet pas sans évoquer le tournage d’un film –, Toledano et Nakache ne font qu’effleurer cette piste pour en creuser une autre : la peinture d’une petite entreprise composée d’un feuilleté de groupes (les serveurs, la plonge, l’animation, etc.) et de personnages hauts en couleurs. Au centre ? Max, le chef d’orchestre, mais un chef d’orchestre fatigué, qui hésite à prendre sa retraite et jongle entre une vie professionnelle éprouvante, une femme qui semble sur le point de le quitter et une maîtresse qui perd patience. Si Bacri occupe ici un rôle de Monsieur Loyal qui lie ensemble les différents fils du récit choral, son personnage est aussi le seul qui est doté d’éléments psychologiques suffisamment forts pour susciter l’empathie du spectateur, là où ses employés sont pour la plupart reconnaissables grâce à un gimmick (un gendarme qui fait des extras, un magicien amateur, un lieutenant incapable de se confronter à son patron, etc.). Tandis que ces différents protagonistes prennent en charge les gags, Max, lui, guide le sens du récit : il décide, assigne chacun à sa tâche et tente de rattraper les bévues, bref, il est avant tout le chef d’une petite entreprise. Le chef d’entreprise, c’est celui qui gouverne une famille, veille à l’unité du groupe, enseigne le métier à sa seconde, une Noire au caractère bien trempé (avec ce duo, le film rejoue d’ailleurs ouvertement le schéma d’Intouchables et l’échange culturel entre un bourgeois blanc et un jeune issu de la diversité). Des prérogatives valorisantes, certes, mais le film tient à montrer que sa vie d’entrepreneur n’est pas si simple, en témoigne la scène où Max se plaint à un présumé inspecteur du travail qu’on ne pense jamais à ces patrons qui jouent leur vie sur leur commerce et sont bien obligés d’engager quelques employés au black compte tenu des risques que représente l’emploi d’un salarié. La conclusion du film est en tout cas très claire quant au point de vue qu’épousent les cinéastes : Max pousse une gueulante sur ses employés responsables de déboires, et pour se faire pardonner ces derniers usent de toute leur « inventivité » afin de plaire à leur auditoire – un parterre de bourgeois qui font la fête dans un château.
Prendre le pouls
Il ne faut pas prendre de haut la veine politique du film, mais bien saisir, en filigrane de ses traits les plus évidents (Max se plaint – littéralement – de la suppression des exonérations patronales pour l’embauche d’un premier salarié !), le portrait que le film dresse de l’entreprise : une famille, donc, mais aussi un lieu où se nouent des romances (dont l’une naît d’un rapprochement imposé par le patron), des amitiés, et où surtout se mélangent les classes sociales et les cultures – cf. la toute fin du film, où un ancien prof de français tatillon discute avec un personnage qui confond flûtes à becs et flûtes à champagne. C’est précisément là que se trouve l’intérêt du film – y compris dans l’impensé de sa peinture de l’entreprise, à l’image de ces Sri-Lankais engagés pour la plonge qui vont finalement retrouver le métier exercé dans leur pays d’origine (la musique) pour sauver la soirée, sans pour autant que par la suite leur place au sein du groupe ne change ou soit mieux valorisée (d’ailleurs, la dernière phrase prononcée par l’un de ces immigrés à son comparse est, cela ne s’invente pas, « Ce n’est pas comme ça que tu vas t’intégrer ! »). Curieusement, ce sont les comédies populaires qui prennent aujourd’hui le plus directement le pouls de la société française en mettant en scène (quoi que l’on pense de la justesse ou de la véracité de leur point de vue) une forme d’organisation politique en lien avec l’esprit de l’époque. C’est justement pour cela qu’il faut voir et analyser ce qu’elles ont à dire : sachons donc gré à Toledano et Nakache d’avoir signé, à défaut d’une comédie convaincante, le premier film des années Macron.