Sicile, 1943. Les armées italiennes et américaines combattent d’une étrange manière. Les hommes ne sont visiblement pas très enclins au corps à corps, quoique… Le capitaine Cash conduit la compagnie C, « plus décorée que Göring », vers Valerno, ville à prendre. Quoi de plus juste que la demande italienne d’une fête contre leur capitulation ? Tout le monde s’exécute dans la joie et la bonne humeur. Mais voilà, les États-majors veulent des comptes-rendus, les disputes méridionales affluent et les Allemands débarquent : entre deux verres et deux poignées de main, la guerre devient une suite de quiproquos explosifs.
Dès les premières images, défilant au rythme d’une marche militaire laissant davantage de place à une flûte traversière champêtre qu’à un clairon, le débarquement se fait sans effusion de sang : plus qu’une guerre, il s’agit d’un ballet, d’une danse qui, loin d’être macabre, est toute acquise à la vie. La caméra de Blake Edwards se balade sans cesse, passant de visage en visage, ne s’arrêtant jamais sur un indice, une importance particulière : il s’agit bien d’un mouvement continuel, rythmé. Le réalisateur ne s’appesantit jamais sur son sujet, il le désacralise, en fait un véritable objet de comédie. Le combat est humain, non belliqueux. Ce sont deux conceptions de l’existence qui s’affrontent : celle de l’armée, tentant d’allier discipline, rigueur tactique et respect du grade, et celle de l’Italie, festive, portée sur une eau plus vive que transparente, peut-être un brin topique. Mais qu’importent les traits récurrents du Sicilien caractériel et gouailleur mais généreux, qu’importent les costumes folkloriques parfois dignes de Fanfan la Tulipe : ils sont masqués par les cotillons, les parades, la joie de vivre. La première fête, exigée par les Italiens en échange de leur reddition, permet aux soldats de découvrir le repos du guerrier entre les bras de l’ouverture aux autres et de plantureuses brunes. Les uns et les autres se mélangent alors, formant une seule et unique communauté : celle des joyeux drilles, seule à pouvoir quitter victorieuse tout champ de bataille.
Mais ce film est aussi tourné en 1966 : deux ans après la « résolution du Tonkin » qui donne les pleins pouvoirs militaires à Johnson, les États-Unis s’enlisent alors dans le bourbier vietnamien. La guerre est une farce : on se joue de l’ennemi (le vrai, l’Allemand), on échange ses uniformes comme pour accentuer l’effet de supercherie, on se « bat » sur la place des fêtes, immense scène d’un théâtre peu commun. Si le puissant comique de Qu’as-tu fait à la guerre, Papa ? est indéniable, on ne peut faire fi de la critique ironisante de l’armée qui en découle : le général Bott, en caleçon et en manque d’affection, en prend pour son grade, comme d’autres qui abusent parfois de leur pouvoir. En sort une philippique contre la fausse discipline qui se résume souvent à un vil narcissisme, et, plus généralement, contre les guerres injustes, diatribe cependant non dépourvue de sympathie pour les quelques valeureux partisans communistes du lot. Si la dérision de la guerre prime, cette dernière reste l’objet de l’action dramatique : le pacifisme s’habille en blanc mais aussi en couleurs.
La recette de Blake Edwards : des soldats qui jouent au football et boivent des liqueurs rosées, des femmes avenantes appelant à l’amour, des Allemands méchants et grotesques, une cascade de gags bien sentis, et une troupe d’acteurs parfaits, Dick Shawn en tête de cortège. Le résultat de Blake Edwards : un film intelligemment hilarant, parfumé des vins d’Italie, car, après tout, « il paraît qu’Annibal était ivre en traversant les Alpes »…