Le félin rose revient, grâce à la reprise en salles des originaux, les deux premiers films de la saga, ceux de Blake Edwards. Celui en qui ses producteurs ont vu l’héritier de Billy Wilder possède effectivement un sens de la comédie, et de la parodie, aigu. Des comédies qui n’auraient jamais été ce qu’elles sont sans Peter Sellers ; l’acteur incarne l’inspecteur Clouseau, d’une maladresse qui n’a d’égal que son talent pour ne pas voir l’évidence. Dans La Panthère rose et Quand l’inspecteur s’emmêle, l’acteur et le réalisateur sont au summum de leur fructueuse collaboration, et atteignent des sommets d’humour.
La série des Panthère rose s’étale sur trente ans : de la Panthère rose au Fils de la Panthère rose, pas moins de huit films racontent les aventures de l’inspecteur Clouseau. Ce rôle, confié dès le départ à Peter Sellers, lui va comme un gant. Le dernier film de la saga avec lui sera À la recherche de la panthère rose, puisque l’acteur meurt en 1980 d’une crise cardiaque. Il aura tourné dans cinq des huit films de la série. Curiosité à noter, dans Le Fils de la Panthère rose (1993), c’est Roberto Benigni qui joue le rôle de Jacques Clouseau junior, un nouveau pantin comique ! Une autre « curiosité », navrante celle-ci, est le remake de La Panthère rose « pondu », l’année dernière, par Shawn Levy (actuellement au cinéma avec La Nuit au musée…), avec l’inénarrable Beyoncé.
En 1963, soutenu par les frères Mirisch (producteurs de la grande époque des studios hollywoodiens), Blake Edwards, réalisateur en 1961 de Diamants sur canapé, sort donc son premier opus, La Panthère rose (The Pink Panther). L’histoire débute dans un royaume imaginaire, identifié à l’Inde. La Princesse Dala (interprétée par Claudia Cardinale après la défection d’Audrey Hepburn), se voit offrir, encore enfant, par son père, le plus gros diamant au monde : la Panthère rose (on peut voir en effet, en l’exposant à la lumière, une panthère à l’intérieur de la pierre précieuse…). On retrouve la princesse Dala, adulte, en Europe, dans une station de ski fréquentée par le gotha. Or, le Fantôme sévit justement dans le gotha, dont il vole les bijoux. L’inspecteur Clouseau est envoyé sur place, et va passer le film à chercher un voleur qui est sous son nez. C’est cette intrigue simple qui va permettre à Edwards de porter le comique d’absurdité à son paroxysme, avec tous ses ressorts physiques, situationnels, verbaux, notamment lors de dialogues à la limite du nonsense : « Vous allez attraper une pneumonie ! — Probablement, répond Clouseau, mais c’est ce qui rend la vie passionnante. »
L’absurde, c’est précisément ce qui caractérise ces films. Les histoires de Blake Edwards ne sont pas des policiers classiques, ce sont des parodies. Il prend la vague des films noirs américains des années quarante et cinquante totalement à contre-pied, tout en gardant un certain « sérieux » (le coupable est finalement trouvé), accentuant ainsi le versant parodique et le pied de nez fait au genre policier. Pour porter ce nonsense, un héros, Clouseau, sorte d’anti-Humphrey Bogart, de Gaston Lagaffe avant l’heure, et dont le petit frère pourrait être OSS 117, se pose là. Sellers s’empare du personnage de Clouseau avec une fluidité déconcertante. Dans les pires situations, il garde une dignité impressionnante, source même du comique et de l’absurde du personnage. Une dignité qui lui vient de Stan Laurel, que Peter Sellers idolâtrait, fascination partagée par Blake Edwards, nourri aux films de Laurel et Hardy. Au comique de geste et aux expressions de sérieux que Clouseau compose en toute situation s’ajoute un comique lié à des thèmes reposant sur le plaisir presque sadique du spectateur. Toutes les chutes surtout, qui rappellent aussi Charlot et les Marx Brothers.
En 1964, le réalisateur et l’acteur récidivent avec Quand l’inspecteur s’emmêle (A Shot in the Dark), sans doute le plus abouti de la série des Panthère rose. L’histoire, plus incohérente mais qui fait la part belle aux mésaventures de Clouseau, l’entraîne cette fois-ci dans la demeure d’un milliardaire où les meurtres se succèdent les uns après les autres, et où Clouseau tombe amoureux de la principale suspecte, Maria Gambrelli (Elke Sommer). C’est dans ce deuxième volet que va s’étoffer le personnage de l’inspecteur, grâce notamment au génie de l’improvisation que se révèlera être son interprète. Son accent français, caractéristique du côté décalé du personnage, y est développé. Il pousse encore plus loin la dignité dans la gaffe, notamment parce que le scénario lui adjoint un subalterne (le second habituel et inversé) sur lequel il passe toutes ses fautes, et un chef, désespéré par son inspecteur. Dans Quand l’inspecteur s’emmêle, on le retrouve, obsédé par Clouseau qui lui donne des envies de meurtre, sur le divan de son psychanalyste : « Avec dix hommes comme Clouseau, dit-il, je détruirais le monde ! »
Tout cela participe d’une légende, de même que l’admiration de Blake Edwards pour les comédies de Feydeau. Le cinéaste reprend le modèle des farces de l’auteur de Monsieur chasse et de Mais n’te promène donc pas toute nue ! notamment avec le principe de « l’avant-scène ». Contrairement aux films de Chaplin où le personnage sort tout le temps du champ de la caméra, Clouseau reste, lui, dans le cadre. Film policier, bien que parodique, La Panthère rose donne corps à tous les personnages dans un même espace, chacun apportant son avis sur l’enquête en cours, mais c’est Clouseau qui vient toujours, en avant-scène, dire sa réplique face caméra.
La saga de la Panthère rose, à son apogée dans les deux premiers épisodes, tient de la rencontre de deux génies de la comédie et de l’absurde. Sa recette, aujourd’hui encore, continue de nous faire décrocher la mâchoire. Au fond, le secret est simple. Comme le confiait Blake Edwards au New York Times en 1978 : « Faites un gag. Puis, faites-le plus drôle. Puis faites-le encore plus drôle ! »