Cette délicieuse comédie de 1958, quatrième film de Blake Edwards, appartient à sa toute première période et précède de peu les grands chefs-d’œuvre à venir (Diamants sur canapé, Le Jour du vin et des roses, La Panthère rose). On en jouit doublement. D’une part, on assiste aux aurores d’un stupéfiant talent comique, à cet âge ingénu où il ne se fond pas encore dans une signature. D’autre part, si Edwards dépend encore des archétypes d’un cinéma classique finissant, il se permet de les travailler et d’en dévoiler l’envers. Un envers qui siffle déjà un léger air de mélancolie.
L’entame est ébouriffante. Ça ne va pas fort, dans le cercle polaire. Cent-quatorze hommes se morfondent dans une base scientifique de l’armée américaine. Ils ne font plus leur travail, il se battent, s’ennuient, désespèrent. À l’état-major, on fait venir les services psychologiques, on cherche une solution. On la cherche sans jamais prononcer le fin mot du problème : le sexe. Plus précisément : le manque de sexe. Le film s’installe dans le cadre paillard et peu amène de la comédie trouffionne. Mais Edwards l’aborde par un tissage si subtil d’allusions et de sous-entendus, tant dialogués que visuels, qu’il le leste de toute sa lourdeur habituelle. Rarement a-t-on vu une aussi brillante mise en scène de la frustration sexuelle. L’image du caporal Paul Hodges (Tony Curtis) tirant à répétition, d’un geste mécanique, des fléchettes sur le poster grandeur nature d’une star de cinéma, sans jamais la toucher, est proprement savoureuse.
Mais le génie tient au montage parallèle qui fait alterner la station – où l’on attend – et l’état-major – où l’on blablate. D’un côté, les hommes et leur altération, leur posture empesée, leur frénésie, leurs tics, qui signalent un trop plein d’énergie contenue, un besoin de se défouler. De l’autre, l’état major qui examine, totalement en dehors des réalités, des solutions dérisoires (comme celle d’envoyer aux hommes un « do-it-yourself kit »). Des autorités – dont le lieutenant-psychologue Vicki Loren (Janet Leigh) – qui ne savent pas, simplement, nommer le mal. La frustration est ici génialement liée à l’absence de mot pour la dire, résultat d’un puritanisme hypocrite, ignorant les réalités gênantes, celles précisément qui remettent en cause son système (l’inefficacité des hommes est ici liée à une erreur d’estimation de l’armée, qui n’a pas prévu, dans la station, de place pour les femmes). Et Blake de détourner à son avantage le code de bienséance qui sévit encore à Hollywood et qui, justement, procède du même puritanisme, le prive, lui cinéaste, de l’usage des mêmes mots.
Une solution est trouvée. Il s’agit d’accorder à un seul soldat la permission rêvée qui servira de catharsis aux cent treize autres. Le caporal Hodges, à cran, se fraye un chemin frauduleux dans l’élection et remporte le gros lot : trois semaines à Paris avec la bombe latina Sandra Rocca. Mais son dossier le précède : Hodges est un fieffé queutard. Il faudra donc le chaperonner – ce sera le rôle du lieutenant Loren – et déléguer un appareil militaire pour protéger la starlette. Bref, entre le mâle en rut et son accouplement, il reste encore pas mal de chemin.
L’épisode à Paris laisse craindre une retombée. Il peut même passer, à terme, pour un ventre mou. Certes, le film rentre alors dans un second cadre, pas plus encourageant : celui de la comédie exotique engluée dans un Paris de carte postale – où les français sont joués par des Italo-Américains et parlent avec un accent à couper au couteau. Mais Edwards s’en tire admirablement. Car cette partie centrale, vouée au récit d’une désillusion, rencontre miraculeusement l’artificialité de son cadre. Hodges se rend compte qu’il n’a, en définitive, rien gagné. En dépit de la vigueur et de l’astuce qu’il met à s’approcher de la star – et qui fait le sel de beaucoup de scènes – l’armée finit toujours par la dérober à ses soins. La proximité tant désirée d’Hodges et de son objet de fantasme dégénère en torture. Et si Paris ressemble autant à une image de carte postale, vide, creuse, criarde, irréaliste, c’est justement parce qu’Hodges accomplit à ses dépends un voyage dans le cliché, explorant sa désespérante platitude en trompe l’œil, sans y dénicher la jouissance (la profondeur) promise. Il voulait la ville romantique par excellence, il butera contre un bout de décor en carton-pâte. Il voulait se taper une star, il ne tâtera que les bras musclés de ses gardes du corps.
Mine de rien, sous ses airs de petite comédie, Vacances à Paris révèle le vide du fantasme organisé, brocarde le star-system et Hollywood, ce grand distributeur de frustration. Ce n’est pas pour rien que les hauts-gradés font de ce petit séjour une vaste opération de communication, avec journalistes, photographes, cameramen, etc, à l’appui. Par là, Edwards montre un pays, les USA, qui met en scène sa sexualité (pudibonde) sous couvert de paillettes et attribue à chacun son pré-carré de pulsions pour mieux les juguler. Encore une fois, un petit film de série sans prétention devient, dans les mains d’un cinéaste qui sait s’adapter aux contraintes, le lieu d’une expression remarquable.
Une fois digérée la désillusion, le film retrouve son rythme trépident. Edwards, pour nouer le tout, surfe sur un vent de rumeur : Hodges, fidèle à sa réputation, aurait engrossé et la star Sandra Rocca et le lieutenant Loren. Le bruit se répand dans l’hôtel, les Parisiens tressent des lauriers à ce diable de libertin. Les Américains, eux, s’affolent et ne pensent qu’à rétablir les apparences. D’où une fin goguenarde, en forme de concession si évidente au mariage qu’elle ne saurait convaincre au premier degré. N’y mordront guère que les bienséants.