Sans vouloir médire de qui que ce soit, la sortie du film indien Queen en France a plus à voir avec le fait que la moitié du film a été tournée à Paris qu’avec une prétendue supériorité artistique sur ses contemporains. Bien qu’il soit produit par Anurag Kashyap et Vikramaditya Motwane, deux importants sponsors du « nouveau cinéma » indien anti-Bollywood, Queen a tout du film bollywoodien standard : certes les (nombreuses) chansons ne sont pas chorégraphiées, certes le mariage final n’est pas au rendez-vous, mais le réalisme ne l’est pas non plus… Heureusement, ce film faussement féministe dispose d’un atout de choc : son actrice principale.
Un film indien se déroulant en grande partie à Paris a de grandes chances de nous infliger le même agacement qui serait celui d’un Indien visionnant Slumdog Millionaire ou Indian Palace : mais où vont-ils pêcher tout cela ? Certes toutes les expériences sont différentes, mais il nous semble qu’un nombre infinitésimal de restaurants à Paris proposent des « têtes de poisson crues à la tomate » (effectivement pas très ragoûtantes a priori) et qu’il existe peu de French maids, même très ouvertes d’esprit, qui utilisent leur pause de cinq minutes pour coucher avec le client dont elles viennent de nettoyer la chambre. Notre cuisine est donc tellement raffinée qu’elle en devient immangeable, et nos Françaises sont des filles faciles qui baragouinent dans une langue peu compréhensible (il aurait sans doute fallu donner plus de temps à la mannequin Lisa Haydon pour « apprendre le français » et à jouer la comédie tant qu’à faire). Stéréotypes, diriez-vous ?
Loin de nous d’en vouloir à l’équipe de Queen pour ce portrait peu flatteur de notre patrie (des flics français qu’on corrompt au champagne, c’est plutôt rafraîchissant). Le problème est que le cliché dépasse le simple décor : voyez le personnage principal du film, Rani (« Reine » en hindi, d’où le titre du film). Abandonnée par son futur à deux jours du mariage, elle décide – bien qu’elle n’ait jamais voyagé de sa vie – de partir seule pour sa lune de miel, prévue à Paris et à Amsterdam. Elle subira donc en l’espace de deux semaines maximum une transformation que beaucoup mettent des années à accomplir (quand ils y parviennent) : jeune fille de classe moyenne s’apprêtant à obéir en tout et pour tout à son cher et tendre, elle prend tant confiance en elle qu’elle jette le même cher et tendre aux orties quand il vient ramper à ses pieds pour se faire pardonner – il faut dire que c’est un sacré salaud. Les autres personnages, eux, sont complètement unidimensionnels : ainsi le propriétaire d’un restaurant italien à Amsterdam, gros dragueur qui, lorsqu’il ne pense pas à embrasser l’héroïne, ne vit que pour défendre sa cuisine. Quel dommage dans une comédie dont le succès aurait pu reposer en partie sur l’écriture des personnages secondaires !
Cachez ce féminisme qu’on ne saurait voir
Qualifier Queen de féministe reviendrait à associer l’adjectif à n’importe quel film dont une femme est l’héroïne. Premièrement, il n’y a ici rien de nouveau sous le soleil : loin des clichés sur une Inde prodigieusement misogyne, de nombreux cinéastes indiens ont déjà consacré la femme, à commencer par Satyajit Ray (Devi et Charulata par exemple) ou Shyam Benegal (Bhumika, Junoon, etc.). Certes, il est heureux qu’il ne soit pas nécessaire d’être une femme pour se targuer de féminisme, mais l’idée très masculine selon laquelle est féministe qui croit en une certaine « libération de la femme » commence à sérieusement dater. Non, la femme n’est pas « libérée » parce qu’elle couche avec n’importe qui ou parce qu’elle ne porte pas de soutien-gorge. Et ce n’est pas parce qu’il s’agit d’un film indien et non d’un film hollywoodien que l’on va se résoudre à une plus grande tolérance.
Certes, l’immense succès du film en Inde n’est pas passé inaperçu : depuis, quelques films ayant une femme comme héroïne, tels Piku ou Tanu Weds Manu 2, tous deux sortis en 2015, ont trouvé leur public – il ne faudrait toutefois pas y voir une révolution, comme on a pu l’entendre ailleurs. En ce qui concerne Queen (mais également Tanu Weds Manu 2), il est évident que ce succès n’est pas dû au prétendu féminisme du film, mais plutôt à son actrice principale, la prodigieuse Kangana Ranaut. Devenue une véritable star depuis, elle possède cette capacité à se fondre dans son personnage qui est absente chez la plupart des actrices indiennes. Dotée d’un timing comique impeccable, elle porte le personnage de Rani avec un tel enthousiasme qu’elle parvient à le rendre attachant, quand le scénario tendait vers le grotesque. Si l’on veut bien oublier les prétentions surannées du film, Queen peut ainsi se révéler un agréable moment à passer en compagnie de Kangana, qui n’a certes pas volé le titre qu’on lui fait porter.