Adaptation d’un roman de Deborah Moggach, Indian Palace suit le parcours d’un groupe de sexagénaires venus passer leur retraite en Inde. Entre clichés néo-colonialistes et philosophies de comptoir, le film ressemble à un mauvais circuit touristique organisé par un quelconque tour-opérateur. Le naufrage est évité de justesse grâce à la belle galerie d’acteurs qui, au moins, semble bien s’amuser de cette aventure.
On ne se lassera jamais de répéter que John Madden a probablement commis l’un des plus scandaleux hold-up de l’histoire des Oscars avec son insignifiant Shakespeare in Love, coiffant au poteau Terrence Malick et Steven Spielberg, en course cette année-là pour la plus prestigieuse récompense. Quinze ans après, le réalisateur n’a jamais retrouvé le moindre état de grâce, rapidement relégué au rang d’habile faiseur d’une fadeur assez désespérante. En adaptant un roman de Deborah Moggach, il a pris le pari peu risqué de susciter l’immédiate sympathie du grand public avec une histoire totalement abracadabrante. Imaginez un peu le tableau : six sexagénaires et septuagénaires, qui ne se sont jamais rencontrés auparavant (à l’exception d’un couple), se retirent en Inde pour vivre une retraite luxueuse à moindre coût. Une fois arrivé sur place, chacun fait face à la pire des désillusions : l’hôtel tombe en ruine mais son gérant, un jeune Indien ambitieux qui souhaite faire ses preuves, déploie une telle énergie que les pensionnaires finissent progressivement par faire fi de l’inconfort du lieu pour vivre la plus belle des aventures – la découverte d’eux-mêmes.
Et d’eux-mêmes, il en est longuement question tout au long du film : la veuve déboussolée, le couple en déliquescence, l’homosexuel revenu vivre un amour de jeunesse, la vieille bique raciste, etc. Les problématiques de chacun ont au moins le mérite de permettre que soient abordés des sujets souvent tenus à l’écart par l’industrie du divertissement hollywoodien (la production est ici britannique) : la solitude des personnes âgées et leur rapport au corps, au désir et à la sexualité. Soutenues par une galerie d’acteurs au diapason (parmi lesquels Maggie Smith, Judi Dench et Tom Wilkinson), les scènes s’enchaînent sans mal, associant avec un équilibre malin humour et émotion. Mais de là à dire que cette luxueuse production ravive une nostalgie post-soixante-huitarde qui fit jadis de l’Inde une terre d’exil pour tous ceux qui souhaitaient quitter le consumérisme occidental, il n’y a qu’un pas que nous n’oserions pas faire. Avec un cynisme à peine dissimulé, John Madden ne nous prive d’aucun cliché sur le pays, faisant de cette culture une fête foraine perpétuelle, une toile de fond où les pauvres vivent en toute dignité et où les intouchables s’émerveillent dès qu’on leur porte un minimum d’intérêt. Avec une condescendance qu’on croirait d’un autre temps, le réalisateur ose même résoudre la question des mariages forcés par un mauvais coup de baguette magique.
À défaut de s’intéresser vraiment aux multiples cultures locales (dont on n’apprendra rien et c’est peut-être préférable vu l’ethnocentrisme du film), Indian Palace se contente de laisser quelques acteurs indiens (ou plutôt d’origine indienne, comme Dev Patel, héros du déjà putassier Slumdog Millionaire) divertir la galerie, mais systématiquement dans la langue de Shakespeare, of course, même lorsque les situations ne le justifient absolument pas. Le film diffuse donc tranquillement un idéal d’hégémonie culturelle où le territoire étranger n’est rien d’autre qu’un drôle de terrain de jeu. Et les digressions métaphysiques de Judi Dench qu’on croirait sorties d’un journal féminin ne changent décidément rien à l’affaire : Indian Palace ressemble plus à un circuit touristique bas de gamme qu’à une plongée dans l’inconnu.