Avec Steven Spielberg à la production et Walt Disney Pictures à la distribution, les dés semblaient jetés d’avance pour Real Steel : récit centré sur l’enfance, accomplissement de soi, et les valeurs morales qu’il convient, dans l’Amérique version oncle Walt, de défendre. Et le film est conforme au cahier des charges de son public cible : les jeunes garçons friand d’aventures robotiques un rien plus calmes que celles des Transformers et leurs parents inquiets de toute dérive. On aurait pu s’en contenter, allez – mais il eût fallu, pour cela, que le film n’en profite pas pour distiller une vision du monde plutôt réac et sexiste.
À cinquante ans de nous, environ, le monde – c’est-à-dire, les États-Unis, oui – n’a guère changé : l’Amérique est encore pleine de grands paysages qui prennent tout l’écran, magnifiés par le soleil levant, pleine, aussi, de héros méconnus pour qui la vie a pris une tournure difficile mais qui tentent de rester dignes, pleine, enfin, de chansons country qui vous remuent l’âme jusqu’au plus profond de vos bottes texanes. Et Charlie Kenton (Hugh Jackman) est un de ces héros à qui la vie en a trop fait voir. Boxeur, par robots interposés, il se voit confier la garde d’un fils oublié pendant quelques mois – ce qui va, évidemment, changer notre homme.
Le pouvoir d’aspiration d’Hollywood vis-à-vis de l’Orient semble tourner un peu à vide ces derniers temps. Privé de réalisateurs à débaucher – on se souvient notamment des passages de John Woo, Tsui Hark ou Wong Kar Wai par la case « Amérique » –, l’usine à rêves tente, malgré tout, de séduire le public des mangas. Avec Speed Racer, déjà, on avait pu constater à quel point les moyens colossaux mis en œuvre par Hollywood pour s’approprier les thèmes et styles narratifs des séries animées et dessinées venues du Japon ne suffisaient pas à en capturer l’âme. Real Steel tente, lui aussi, la récupération. En mêlant un récit d’enfance tels que les affectionne Steven Spielberg à la thématique des robots géants, Real Steel permet de tendre des ponts entre la production américaine et le manga qui sont plus convaincants que le délire foisonnant des Wachowski – c’est un des seuls aspects intéressants dont le film puisse d’ailleurs se prévaloir. Côté technique, Shawn Levy, à la réalisation, semble avoir découvert les vertus du travelling latéral, et estimer suffisant celui-ci pour donner de l’ampleur à sa mise en scène. Peine perdue : on ressentira, au mieux, un léger mal de mer. Quant à Danny Elfman, méconnaissable à la musique, il livre une composition country étonnante par son manque d’originalité.
Certes, Real Steel suite les rails tracés d’un récit où un homme perdu pour la société bien-pensante (célibataire, dragueur, alcoolique, allant jusqu’à vendre son gosse…) retrouve le chemin de la lumière par le truchement d’un sursaut de paternité. Tout cela, assorti d’effets spéciaux en animatronic et informatique des plus convaincants – pourquoi pas ? Pourvu que l’on admette les valeurs traditionnelles véhiculées, avec plus ou moins de subtilité, par les studios Disney…
Mais, la goutte d’eau qui fait déborder le vase est la larme de sexisme qui sous-tend tout le film. Ainsi, à l’instar d’un Shrek le troisième, on y trouve des personnages féminins relégués au second plan : la mère, morte et donc déifiée, la tante, harpie évidemment hystérique, exclue de toute forme de discussion raisonnée – c’est comme ça, les femmes, vous savez bien : on peut pas discuter avec, elles crient tout de suite –, et la fiancée, pur faire-valoir qui attend sagement que son Hugh Jackman à elle se décide enfin à lui faire un bisou. Ainsi, comme on apprend aux petites filles que le rose est leur couleur, qu’elles doivent jouer à la poupée et attendre – en silence si possible, et docilement – le prince charmant, Real Steel est une véritable charge de brainwashing pour jeunes garçons. Jeunes messieurs, sachez donc que vôtres sont le génie mécanique, la fraternité virile après le combat, et la complicité, clin d’œil à l’appui, entre mâles pour passer outre les énervements féminins. C’est comme ça, et pas autrement.
Real Steel aurait pu n’être qu’un inoffensif spot de pub géant pour jouets de plus – on en verra sans doute quelques autres, alors qu’arrivent les fêtes de Noël. Il aura également, et malheureusement, choisi de se placer du côté d’une vision sexiste et passéiste du monde – un comble, quand on y pense, pour un film d’anticipation.