Les bandes-annonces successives de Speed Racer avaient de quoi rebuter par l’esthétique pour le moins criarde qu’elles dévoilaient du film. C’est pourtant son atout majeur tant les Wachowski foncent le pied sur l’accélérateur jusqu’à l’overdose dans leur parti pris de faire un manga live. Car dans ses dérapages incontrôlés et ses virages mal négociés le film parvient à devenir un peu hypnotique. Les sorties de circuit, c’est tellement moins routinier…
Continuons le tour d’horizon des projets geeks qu’Hollywood nous sert cette année en guise de blockbusters estivaux. Après Iron Man et Indiana Jones, voici donc Speed Racer ! Projet geek à plus d’un titre puisqu’il s’agit ni plus ni moins de l’adaptation, non pas d’un comics américain, mais d’un manga japonais, ou plus exactement du dessin animé qui en est issu et qui fit fureur aux États-Unis dans les années 1970. Mais c’est également le grand retour des frères Wachowski en tant que réalisateurs après la trilogie Matrix. Soit des réalisateurs geeks pour un sujet geek : en résulte un film geek au carré, de quoi donner le tournis. Littéralement.
L’enjeu ici est double et s’opère en deux temps. Il faut tout d’abord faire entrer les thèmes très japonais de Speed Racer à base d’identification fraternelle et de dépassement de soi dans les schémas scénaristiques très hollywoodiens à base d’individualisme et de valeurs familiales. Le jeune Speed Racer est un prodige de la course automobile, hanté par l’ombre de son frère aîné, véritable virtuose du volant disparu quelques années plutôt dans des conditions mystérieuses. À force de gagner des courses, Speed finit par recevoir des propositions alléchantes pour faire partie d’écuries prestigieuses comme la Royalton. Mais à un sponsor puissant mais sans âme, Speedy (pour les intimes) préfère le giron familial pour faire prospérer le petit garage de son papa, Pops (pour les intimes). Il va alors s’attirer les foudres d’Arnold Royalton qui, ne supportant pas un tel affront, lui révèle la corruption qui gangrène le sport automobile, bousculant ainsi tous les idéaux nobles du jeune champion. Dès lors, ce dernier, épaulé par sa famille, mettra tout en œuvre pour contredire l’industriel véreux. Ça, c’est le scénario. Mais qu’en est-il du film ? Se résume-t-il à une histoire aussi ringarde ? Bien sur que non. Si l’esprit très conservateur des Wachos (pour les intimes) s’accommode aisément de ce type de fiction où le capitalisme familial s’érige bravement face au capitalisme industriel déshumanisé, ce n’est évidemment pas l’envie de faire état de cette vision des choses qui les anime mais la seconde étape de l’opération : adapter la forme hollywoodienne aux digressions visuelles du manga.
Car ce qu’Andy et Larry (Lana pour les intimes) ont surtout retenu de l’animation japonaise, c’est la constante invention du découpage, héritée des films de série des années 1960 comme ceux de Suzuki ou Misumi. Leur démarche rappelle celle de Warren Beatty et de son sympathique et un peu oublié Dick Tracy (1990). Traduire à l’écran l’essence plastique de la B.D., quitte à en adopter les postures les plus grotesques, c’est une manière de ne pas avoir peur de tacher le film de ses références. C’est autrement plus stimulant que le travail bêtement mimétique et vulgairement esthétisant de Sin City ou 300. Mais à Hollywood, s’approprier les idées visuelles de la bande dessinée a ceci de paradoxal que leur mise en œuvre prend une ampleur colossale, exigeant beaucoup de moyens techniques et financiers, soumettant le tournage à des impératifs technologiques et ne laissant le film prendre forme qu’à partir de la post-production. Et c’est sur ce point que Speed Racer devient intéressant, quand son budget et son armée d’infographistes sont aussi bien au service des trucages en images de synthèses que de tout « l’habillage » que le story-board du film – qu’on imagine copieux – exige. L’effort si conséquent pour hisser cette production luxueuse au niveau des délires naïfs des dessins animés japonais fauchés, finit par charrier son lot d’effets hiératiques (aidé en cela par le casting extrêmement hétéroclite). Une entreprise si disproportionnée est nécessairement vouée à l’échec : là où l’inventivité de l’un devait pallier au manque de moyens, le surplus de moyens de l’autre ne peut combler le manque d’inventivité. Les frères cinéastes le compensent alors dans la radicalité et l’outrance de la stylisation. D’où la boursouflure caractéristique du film qui, à défaut de séduire, peut fasciner (pour peu que l’on soit sensible à la culture manga et aux jeux vidéo). C’est souvent quand le cinéma hollywoodien dérape, quand il tente d’aller plus haut que ses systématismes ne lui permettent, que, telle la grenouille US voulant se faire plus grosse que le bœuf nippon, il explose, qu’il finit par exister un peu. Dût-il se saborder.