Quoi qu’on pense du cinéma d’Amat Escalante, l’argument de son nouveau film – un extraterrestre lubrique échoue dans une province mexicaine et entre en contact avec ses habitants – avait de quoi intriguer. Disons-le d’emblée, la promesse d’étrangeté portée par cet argument narratif n’est guère remplie, mais présente toutefois une particularité pour le moins curieuse : si l’apparition du fantastique et de la science-fiction devrait en théorie enrichir l’écriture d’Escalante d’un surplus de mystère, l’irruption de cette matière exogène clarifie au contraire sa visée et accouche d’un film hyper lisible, voire franchement terre à terre. C’est que le rôle de l’extraterrestre, par ailleurs peu visible à l’écran, est donné clé en main : la bestiole aux tentacules représente, dixit le scientifique qui s’occupe d’elle, « la part primitive de l’homme ». Ce constat limpide est de surcroît livré en superposition d’une scène où divers animaux (oiseaux, chèvres, chiens, serpents, etc.) s’accouplent tous ensemble dans le cratère où s’est écrasée la météorite transportant l’alien.
Embrasures et abîmes
Dès lors, à quoi s’attelle le film ? Sa part fantastique constitue à vrai dire moins le cœur de l’intrigue qu’une métaphore à gros traits de la part centrale du récit : Alejandra, une mère au foyer sexuellement frustrée, ne se doute pas que son mari Angel la trompe avec son beau-frère Fabian, infirmier gay qui fait la connaissance de Veronica, une jeune fille qui entretient des relations sexuelles avec l’extraterrestre caché dans une cabane dans la forêt. La mise en scène d’Escalante a beau multiplier les travellings avant sur des embrasures figurant le sexe féminin, des plans allégoriques (une coulée d’eau qui évoque un vagin, les racines d’un arbre à moitié déterré qui renvoient aux tentacules du monstre) et des visions vides de sens mais conçues pour marquer les esprits (une culotte, filmée sous la jupe d’une des héroïnes, d’où s’échappe un liquide bleu), ce qui la travaille est au fond tristement sommaire : chaque personnage se retrouve confronté à la part sombre de son désir et se voit menacé d’être ravalé par lui. Car qui dit « part primitive » dit pulsions, exaltations des sens, mais aussi violences faites au corps et risque de mourir en s’abandonnant à l’étreinte. Le film carbure de fait à un puritanisme mal raffiné, tant la sexualité, zone d’ombre et de mystère (la voilà, la fameuse « région sauvage ») se retrouve finalement réduite à un abîme mortifère (c’est d’ailleurs l’image manquante du film, un gouffre où sont jetés les cadavres de ceux qui ont péri des tentacules de la chose). Il n’est dès lors bien entendu pas anodin que le film se termine sur une phrase d’un des enfants d’Alejandra qui, en voyant la chemise ensanglantée de sa mère, demande candidement : « Maman, pourquoi es-tu toute tachée ? »