Sorte de huis clos, Sangre s’attache à décrire l’ennui et le cloisonnement au sein d’un couple. Basé sur le désenchantement et la misère culturelle des « petits travailleurs » mexicains, ce premier long métrage déçoit par sa forme. Faisant de la répétition, jusqu’au vertige, le leitmotiv de son film, Amat Escalante réussit surtout à lasser puis à ennuyer.
Amat Escalante a 26 ans et Sangre est sa première réalisation. Pour parler de son film, on aurait presque envie d’invoquer le manque d’expérience pour lui trouver des excuses. Après deux courts métrages remarqués et un travail d’assistant réalisateur sur Batalla en el Cielo de Carlos Reygadas, qui a co-produit Sangre, on attendait un petit bijou de recherche et de réflexion. Ce n’est pas le cas. Si le casting est très réussi et les intentions dignes d’intérêt, on aurait aimé une démonstration plus subtile, voire une fin plus radicale.
Le scénario de Sangre est presque minimaliste. C’est l’histoire de Diego et Blanca ; lui, physique ingrat, peau grasse, fort strabisme, est portier au palais de justice de Mexico. Elle, un peu plus jeune, ni laide ni jolie, à la jalousie dévorante, aux allures de petit chef névrosé, est serveuse dans un bar à sushis. Chaque soir, après le travail, ils se retrouvent devant des telenovelas, affalés sur leur canapé. Régulièrement, ils font l’amour. Mais cliniquement. Allongés dans le canapé, sans bouger, Blanca annonce froidement qu’elle sent l’excitation monter (ah bon?). D’autres fois, ils procèdent à une installation minutieuse pour mettre en scène leurs ébats sur la table de la cuisine. Manger, faire l’amour, regarder la télévision, tout se vaut, tout reste sur le même plan.
S’emparer de ses deux personnages n’est pas dénué d’intérêt ; eux, qui font si peu rêver, se posent comme l’emblème d’une société à qui on donne des feuilletons idiots à manger (« John je t’aime, mais tu m’as trompé avec Samantha qui elle-même couche avec William ! »), des hamburgers (le repas préféré de Diego, selon sa femme), des petits boulots aliénants. Elle, totalement factice, comme semblant se convaincre de son bonheur, répète à l’envi à quel point elle aime son mari, à quel point cet univers lui suffit. Comme totalement détachée du monde extérieur, elle trouve en Diego un être malléable, un objet à son désir sexuel pourtant sec, une échappatoire au vide, au désespoir. Chez lui, tout semble être consentement. À sa condition sociale, aux crises de sa femme, à sa solitude. L’intérêt du personnage vient du fait qu’on le sent continuellement au bord de l’explosion, tout en restant passif et prisonnier de sa situation. À la faveur de retrouvailles avec sa fille et d’un événement inhabituel, il va passer à l’action, mais totalement de travers. Comme s’il ne savait plus communiquer : ni avec sa femme (il se contente de réaliser ses caprices), ni avec le monde extérieur (il est seul dans son travail, il ne sort pas avec des amis), ni avec lui-même.
Personnages à la dérive dans une ville aux dimensions inhumaines, ils ne sont plus que des animaux pauvres et vides. On entend le message du réalisateur, on lui sait gré de s’attaquer à une histoire plutôt rebutante… Mais de là à en faire un projet passionnant… Le film aurait gagné en légèreté formelle si Amat Escalante ne nous avait pas emmené jusqu’à la nausée dans la description trop appuyée d’une répétition presque morbide. On s’ennuie, parce que les personnages s’ennuient, parce que leur vie misérable nous donne envie de fuir très loin. Saluons le cinéaste mexicain de nous donner à voir un phénomène de société de son pays, bien loin des sombreros et de la tequila, mais espérons qu’il nous propose à l’avenir plus de subtilité.