Un vent un peu rance souffle dans les plaines danoises : vengeance et culpabilité se mordent la croupe tandis que des familles se disloquent sous le soleil rasant d’une fin d’été scandinave. Fagoté comme un rebut de Sundance et écrit à la truelle moralisante, Revenge complète la liste ubuesque des oscars du meilleur film étranger de ces dernières années, à la suite de Mon nom est Tsotsi ou Les Invasions barbares de triste mémoire. La pompeuse Académie et les Golden Globes ont cru reconnaitre dans ce film une métaphore sincère des affects humains là où il n’y a pourtant que folklore affecté et manipulation condamnable.
Deux enfants s’ennuient passablement. L’un, Elias, est le souffre-douleur de camarades qui le rudoient du fait de ses dents de lapin. L’autre, Christian, est plus sûr de lui, n’étant du genre ni à mégoter ni à refuser la castagne. Leurs profils se complètent, ils sont prêts à devenir amis, comme le prévoit l’emboîtement merveilleux du scénario. Les deux enfants ont des rapports complexes avec leur père, héros absent pour l’un, chiffe molle égarée pour l’autre. Anton, le père d’Elias, est de ces hommes qui ne comprennent pas la violence du monde. Soumis à un sentiment inconscient de culpabilité occidentalo-bourgeoise, il s’est porté volontaire pour se rendre dans un centre de réfugiés quelque part en Afrique, afin de retirer des plaies et céphalées des nourrissons malnutris. Autant dire qu’il n’est pas souvent à la maison (d’où la tétanie amorphe du fils face au danger ?). Claus est l’autre père, celui de Christian, celui qui ne sert pas à grand-chose sinon à rappeler à son fils que sa mère, morte d’un cancer, lui manque beaucoup. Il est souvent à la maison, occupant l’espace comme un poisson rouge anémié (d’où la violence latente et explosive du fils ?). On le voit, ça a bataillé dur dans le cerveau du scénariste pour camper les antagonismes filiaux et les ressorts psychologiques de ses petites poupées.
Point trop besoin d’effort pour trouver des adeptes touchés par l’atmosphère ouatée du film (il suffit de parcourir la critique nord-américaine) et sa lumière si caractéristique (Scandinavie = rayons de soleil fatigués). Un été suédois, sorti tout récemment, use du même artifice, de façon plus heureuse et sincère. Il est cependant difficile de supporter la complaisance d’une certaine critique face à la représentation foraine du camp de réfugiés africains. Bardé de bonne conscience petit-bourgeoise, le film régurgite un folklore mal digéré de ce bon vieux temps des colonies, tellement sirupeux et convenu qu’il en est gênant. Le personnage du prince de guerre despote et sanguinaire en est l’incarnation la plus médiocre. Cependant le film n’est pas moins contrariant lorsqu’il revient au Danemark. Sous ses aspects d’Instit à peine amélioré, il recèle quelques coups bas.
Si L’Instit traitait clairement d’un sujet de société au potentiel assez polémique pour palabrer avec Jean-Luc Delarue en deuxième partie de soirée, il est difficile de trouver quelque aspérité exploitable dans Revenge. Aussi simpliste et réductrice que soit la trame de la série télévisée, elle était construite de façon à permettre un prolongement propice au débat. Revenge est tellement corseté, engoncé dans son système autiste qu’il est inutilisable pour toute autre chose que de la publicité bon marché. Chaque situation ne se justifie que par sa place dans la démonstration poussive de Susanne Bier, chaque image est une illustration vouée à attester de la validité d’une théorie globalisante fumeuse, tel ou tel personnage ne répond qu’à des stimuli téléguidés. Bier prend en otage son film pour le télécommander vers une thèse, elle le maltraite, le triture, l’enclave. Ce film s’insère dans un champ plus large de la cinématographie contemporaine – les frères Coen en sont souvent les parangons – qui réfute la vie et ses palpitations et au sein duquel les personnages ne sont que des artéfacts actionnés par de cyniques marionnettistes. Et quand l’intérêt de la thèse – les actions humaines sont guidées par la soif de vengeance et l’amertume de la culpabilité – semble aussi limité, on s’interroge sur le déploiement d’une telle machinerie pour une éructation si dérisoire.