Une caméra tremblante se faufile dans les rues d’un bidonville. Elle suit les pas nerveux d’un jeune homme insensible à l’agitation ambiante, c’est Juan. Une jeune fille se coupe les cheveux, dissimule ses seins sous une gaze, voilà Sara, rebaptisée Osvaldo lorsqu’il faudra faire illusion. Juan bourre un sac d’affaires, sort, rejoint Sara, un troisième personnage, c’est parti. La sécheresse est annoncée d’emblée, dans ce premier long métrage du jeune Diego Quemada-Diez, élu de la Cinéfondation à Cannes en 2010, et caméra sur quelques blockbusters catégorie Auteur (The Constant Gardener, 21 grammes) et pour Tony Scott, Oliver Stone ou Spike Lee. C’est d’abord une sécheresse de scénario, qui ne garde que le présent de l’action, et ce début de film peine dans la préparation – même minimale – du voyage à venir. La mise en scène, elle, est frontale, nerveuse, efficace. Elle a la qualité d’accueillir dans son champ passants et paysages, qui alimentent le film d’une vision presque subliminale sans laquelle Rêves d’or ne serait qu’un programme, quand son ambition est pourtant d’être même plus qu’un voyage.
Pour l’heure, ce trio d’adolescents guatémaltèques, presque encore des enfants, part en silence. Un plan des rails et l’on comprend : les États-Unis sont au bout. Très vite, avant même le premier train, un Indien les rejoint, Chauk. Il a les traits typiques, il ne parle pas espagnol, il a ses propres manières. Sara s’attache au petit homme, Juan en est jaloux. Les figures sont posées, pataudes. Il y a un peu d’exotisme de l’Indien, comme il y en aurait entre le campagnard et le citadin. Tout l’oppose trop facilement à Juan, les rend tous deux prévisibles et leur lutte convenue. Heureusement les à-côtés du trio allègent : sur le toit du train, les voix des clandestins courent de wagon en wagon pour prévenir des branches dangereuses, des hommes s’échangent des cigarettes ou admirent la vue. La misère n’empêche pas la beauté des paysages, il y a une part de tourisme taboue dans les voyages de l’exil.
Complément de la sécheresse, de brusques virages narratifs viennent rythmer le film à la hache en éjectant soudain des personnages, dont on s’aperçoit au passage ne rien savoir. Difficile ici d’en dire plus sans gâcher le plaisir du spectateur, contentons-nous d’indiquer que ces virages sont assez imprévus et radicaux pour plaquer sur le film un voile d’abstraction agréable dans le paysage du cinéma latino-américain. Le film, c’est le train vers l’Amérique, on y rentre ou on le quitte selon sa destination, et sa destination seule.
Caricaturons ainsi le drame social latino : un film naturaliste, parfois son pendant documentaire, où l’on suit un héros anonyme qui s’enfonce progressivement dans la misère à cause de la dureté du système économique ou social. Cela finit mal et la douleur empathique provient des petits riens qui attachent le spectateur au personnage (en version positive, voir Carlos Sorín). On a souvent tendance à rendre le personnage sympathique à l’extrême, comme si son seul malheur risquait de manquer d’adhésion. Le schéma de Rêves d’or est très proche, et pourtant la sensation bien différente. Les personnages, aussi typés soient-ils, ont une manière animale de réagir. Les séquences, de plus en plus dramatiques (rencontre avec la police, poursuite avec la police, rencontre avec les bandits, kidnapping…), laissent les personnages hébétés, mais ils progressent avec le sang-froid ou le fatalisme des bêtes. Jamais une larme, le corps avance comme la locomotive, branlant et déterminé jusqu’à la mort. Nous voilà du côté du cinéma russe contemporain, on pense particulièrement à My Joy de Sergei Loznitsa. De l’homme ne reste que le corps. Il est seul, vit seul, meurt seul, la société est un broyeur absurde. C’est cette direction que suit Diego Quemada-Diez, avec une maîtrise à souligner. On aurait pu apprécier une radicalité plus forte encore, qui aurait diminué un attachement aux symboles très présents à la fin (l’abattoir, le tri entre les déchets de viande et les beaux morceaux), et surtout une petite tentation voyeuriste dans le rapport au mal, le seul défaut affleurant de mise en scène, qui enregistre inutilement le sadisme des « méchants ». Mais malgré un sujet difficile, à la fois surmédiatisé et porteur d’un lourd imaginaire, Rêves d’or surnage dans son paysage cinématographique relativement formaté. Son jeune réalisateur Quemada-Diez est à suivre.