Est-ce un hasard ? Le thriller politique, genre qui a connu son heure de gloire dans les années 70 grâce à des metteurs en scène tels que Alan Pakula (Les Hommes du Président, Le Syndrome chinois) ou Costa-Gavras (Z, L’Aveu) semble être revenu à la mode à Hollywood. Après un essai raté par Sydney Pollack (L’Interprète) et en attendant les sorties prochaines de Syriana (les conflits d’intérêt autour du commerce du pétrole, par le scénariste de Traffic) et Munich (les attentats des Jeux Olympiques de 1972, par Spielberg), Fernando Meirelles s’intéresse aux enjeux que représente « l’industrie » humanitaire aux yeux des grands groupes pharmaceutiques. Faut-il voir une nouvelle vigueur militante à Hollywood, portée par des stars telles que Sean Penn, George Clooney ou encore Matt Damon ? Un coup de marketing de la part des studios, alléchés par le succès inattendu de Fahrenheit 9/11 ? Un sursaut créatif de la part de cinéastes plus ou moins installés qui ont compris que leur caméra pouvait également être une arme contre le pouvoir en place ? Certainement tout cela à la fois. Une chose est certaine : le cinéma américain, indépendant ou pas, a pris conscience pour la première fois depuis longtemps que le fameux Premier Amendement de la Constitution était toujours d’actualité.
S’il y a beaucoup de choses à dire et à filmer, encore faut-il savoir comment s’y prendre. A priori, Fernando Meirelles est bien placé pour tenir un discours sur les rapports entre pays riches et pays pauvres : son quatrième long métrage, La Cité de Dieu (2002), restera longtemps comme l’un des témoignages les plus marquants sur la vie dans les favelas de Rio de Janeiro. C’était aussi une des premières et rares fois où le « style MTV » (filtres, montage épileptique, cadrages insensés…) transcendait sa fonction de divertissement pour servir le propos d’un film. En adaptant un best-seller de John Le Carré dans lequel l’auteur s’inspire plus de son passé d’ambassadeur que de son expérience dans les services secrets britanniques (la trame de la plupart de ses œuvres), Fernando Meirelles poursuit néanmoins ce qui faisait le succès de La Cité de Dieu : du cinéma engagé, ouvert sur le monde et extrêmement documenté.
Tessa Quayle (Rachel Weisz) est une avocate brillante, doublée d’une activiste acharnée dont le travail sur le terrain est reconnu, respecté et parfois craint. Mariée à un diplomate aussi doux qu’effacé, Justin Quayle (Ralph Fiennes), elle est retrouvée sauvagement assassinée dans une région du nord du Kenya avec le médecin africain qui l’accompagnait. Tout porte à croire que les deux collègues avaient une liaison et que le crime était passionnel. Justin refuse d’y croire et décide d’enquêter seul sur la disparition de sa femme. Ce qu’il va découvrir va bouleverser sa vie, celle de son entourage et, à bien plus grande échelle, celle de milliers d’Africains.
Document édifiant sur le business humanitaire qui mêle les gouvernements et les grands laboratoires pharmaceutiques, thriller haletant aux ingrédients testés et approuvés, chronique dramatique sur la reconstruction après la perte d’un proche et sur la mémoire des disparus… The Constant Gardener est tout ça à la fois et parfois plus : quand Meirelles laisse tourner sa caméra pour filmer la beauté dévastatrice du continent africain, de l’aridité de ses déserts aux mille et une couleurs de ses villages, on devine avec quelle facilité le film aurait pu n’être qu’un Out of Africa millésimé 2005. Mais le cinéaste jongle avec ses intrigues avec aisance et fluidité, les unes se mêlant aux autres pour ne faire qu’une seule et belle chronique : celle d’un homme ordinaire qui, par amour pour sa défunte épouse, va poursuivre avec acharnement le but qu’elle s’était fixé, peu importe l’immensité de la tâche. Scénario romanesque qui s’accommode parfaitement du discours éminemment politique qui fait la trame du film : la grande réussite de The Constant Gardener est de savoir imbriquer avec maestria la petite histoire et la grande jusqu’à ce que, d’un point de vue cinématographique, chacune s’enrichisse de l’autre.
Contrairement à un Oliver Stone, Fernando Meirelles ne cherche pas à asséner sa thèse à grands renforts de démonstrations alambiquées et autres théories plus ou moins fiables. Dans The Constant Gardener, ce que l’on apprend n’a hélas rien de surprenant. Mais le cinéaste sait être didactique sans tomber dans la démagogie : tragique mais pas larmoyant, le film n’en est que plus bouleversant. Les acteurs y sont pour beaucoup : si l’on savait déjà que Ralph Fiennes est un comédien remarquable, la surprise vient de Rachel Weisz, magnifique en militante des droits de l’homme amoureuse et passionnée. Dans chacune de ses scènes, on peut deviner l’engagement de l’actrice derrière celui de son personnage, l’absence de vanité qui peut pousser une jeune comédienne enceinte à se laisser filmer nue sans aucun artifice.
Malgré ses nombreuses qualités, The Constant Gardener n’est pourtant pas un film parfait. Le style tape-à-l’œil de Meirelles ne réussit pas autant que dans La Cité de Dieu : dans les nombreuses scènes tournées en Angleterre et en Allemagne, où le personnage de Justin doit retourner pour mener son enquête, le cinéaste se croit obligé d’utiliser des filtres bleutés, voire grisâtres, pour signifier le contraste entre les deux continents. Une facilité stylistique constamment utilisée à la télévision, dont on se passerait bien ici. D’un strict point de vue formel, le film ressemble d’ailleurs souvent à une bien jolie publicité pour des gels douche, et le décalage entre le contenu et la forme laisse souvent sceptique. Un peu comme si Attac faisait réaliser ses affiches par Oliviero Toscani. Difficile de croire que Meirelles, qui sait parfaitement utiliser une caméra, n’ait pas encore compris que le langage des images est, aujourd’hui plus que jamais, aussi important que les mots eux-mêmes…