La même chose, en plus riche, siouplé ! Fort du faramineux succès national de son film précédent au degré zéro de la comédie à destination télévisuelle, Bienvenue chez les Ch’tis, Dany Boon en reprend les composantes commerciales, pour ne pas dire publicitaires — régionalisme racoleur avec accent, simplicité des émotions en toc, message passe-partout à la tolérance. Et en recrée un avatar à plus gros budget, toujours dans le nord de la France qui lui est si cher, mais cette fois à la frontière franco-belge. Tout de même, l’acteur-réalisateur comique de moins en moins drôle devrait se méfier. Si l’ingrédient principal de son succès reste sa façade de modestie, les gros moyens mis en œuvre ici (après son énorme proposition récente de « césar de la meilleure comédie » qui a failli devenir un improbable « césar du box-office ») la contredisent quelque peu. Plus gênant : ils font craquer sérieusement les coutures de son système, rendant plus éclatants les fondements les moins avouables qui sous-tendent ses produits estampillés « comédie populaire française ».
Qui peut le plus peut le moins
Dans Rien à déclarer, on retrouve donc un conflit régional (France/Belgique) porté à un point si invraisemblable que sa résolution par le scénario ne sera qu’une formalité, une romance contrariée par ledit conflit où Dany Boon prend une nouvelle fois le rôle de l’amoureux transi, et un effort de mettre tout le public derrière soi en se rabattant sur un format télévisuel (mise en scène aussi inspirée que celle d’un épisode de Joséphine ange gardien, romance et comédie dignes des sketches de Scènes de ménages). Mais Boon, depuis Bienvenue chez les Ch’tis, a décidé d’être ambitieux — dans le pire sens du terme compris par l’industrie du cinéma « populaire » français, c’est-à-dire en se contentant d’étaler ses moyens sans inspiration et aveugle au ridicule qu’il atteint.
Dans Rien à déclarer, il y a donc aussi de l’action « à l’américaine » (avec des fusillades et une Renault 4L « tunée » comme le taxi de Luc Besson), des intrigues secondaires en plus et même un contexte historique original où Boon plante un improbable buddy-movie : en 1993, après la disparition du poste de douane d’un village frontalier franco-belge (Europe oblige), deux douaniers voisins et ennemis, un Wallon viscéralement francophobe et un Français qui n’aime pas les Wallons francophobes, sont contraints à travailler ensemble. Outre la perplexité de voir un projet aussi limité se sentir obligé de se sophistiquer en s’appuyant sur l’histoire récente de l’Europe (à moins que ce ne soit juste pour le bête plaisir de se moquer des Renault 4L…), les efforts accrus de Boon ont surtout le défaut de ne faire qu’étaler la misère profonde de son cinéma, quand ils espéreraient lui donner une ampleur. Entre ses grosses paluches, qui dit plus d’action dit plus d’excitation sur place dans une réalisation aussi plate que le plat pays ; qui dit plus d’intrigues secondaires dit plus de personnages ne ressemblant à rien (qu’ils soient curé — pauvre Olivier Gourmet, trafiquants de drogues ou cafetiers), plus d’émotions en carton, plus de comique verbal et de situation en deçà du lamentable.
Bienvenue… ou pas
Mais ce n’est pas beau, de se moquer, nous dira-t-on. Il se trouvera à coup sûr des gens pour défendre ce genre de chose, comme du reste ils l’ont défendu à propos de Bienvenue chez les Ch’tis. Ils trouveront dans l’indigence de l’ensemble une forme de simplicité, de modestie qu’ils qualifieront d’appréciable ; verront dans les piteuses scènes comiques sur les antagonismes régionaux une forme de satire des préjugés motivée par un louable humanisme. Certains pourraient même, pourquoi pas (on n’en est plus à une énormité près, dans la critique française), voir en Dany Boon un exemple d’ « auteur populaire et généreux » dont le cinéma français aurait besoin pour se relever des méfaits d’un auteurisme hermétique (en vertu, encore et toujours, de cet anti-intellectualisme rampant actuel par lequel on s’excuse de son refus de penser et d’impliquer sa pensée). Mais gageons que même cette paresse intellectuelle trouvera du fil à retordre face à un nouveau film qui, sans doute un peu trop fort de ses moyens, a moins peur d’étaler le fonds de commerce plutôt glauque sur lequel capitalise le gentil Dany.
Sur l’antagonisme exploité dans Bienvenue chez les Ch’tis, Boon avait été assez malin pour baser son comique de bas étage sur les clichés sur le nord du point de vue du sud, mais aussi inversement, l’air de renvoyer dos à dos les préjugés des uns et des autres pour mieux les neutraliser. Ici, en revanche, le rôle de cinéaste-arbitre ne lui sied plus vraiment. Il faut voir comment il croque d’un côté les douaniers français légèrement méprisants envers les Belges, mais bonne pâte quand même, forcément menés par lui-même dans son registre de gentil un peu timide mais qu’il ne faut pas chercher, de l’autre les douaniers belges obtus aux ordres d’un psychopathe forcément antipathique (même dans ses attitudes les plus ridicules), forcément campé par un Benoît Poelvoorde en roue libre. Il faut voir comment il met en scène systématiquement les duels verbaux et parfois physiques à l’avantage des Français, de son propre camp. Dans ce film, c’est le Belge seul qui à la fois étale son obsession anti-française et flatte les clichés que les Français nourrissent à l’égard de son peuple.
Difficile de faire passer cette vision biaisée et rance pour une satire de l’intolérance. Mine de rien, ce dérapage nous rappelle que finalement, Les Ch’tis, à l’instar de Rien à déclarer, faisait bien moins rire des préjugés mutuels qu’avec eux. On se rappelle la façon dont les jeux pitoyables et répétitifs sur les accents et la bouffe locale ont su glaner 20 millions d’entrées. On se rappelle ce que certains refusent de voir, sans doute pour ne pas troubler le sommeil ambiant de la pensée : que le succès commercial de Dany Boon, au fond, capitalise précisément sur les tares qu’il prétend tourner en dérision, sur les sourires condescendants qui apparaissent face aux accents et aux recettes de cuisine du cru, sur la défiance inhérente à l’être humain vis-à-vis de l’Autre, du voisin d’en face. Le cinéma de Boon apparaît dès lors bien moins sincère, modeste et aimable qu’il voudrait le croire, à l’instar de l’opportunisme de ceux qui désormais le financent. Il nous reste le vœu pieu que cette formule tristement gagnante trouve sa limite avec les ratages manifestes de Rien à déclarer… mais qu’on ne se fasse pas trop d’illusions.