Grande spécialité du cinéma français, le polar social ne s’est jamais aussi bien porté, actualité oblige : Ressources humaines et L’Emploi du temps de Laurent Cantet, Violence des échanges en milieu tempéré de Jean-Marc Moutout, Le Couperet de Costa-Gavras, Selon Matthieu de Xavier Beauvois… L’entreprise et sa machine à broyer de l’humain indigne et inspire les cinéastes et c’est tant mieux : si le cinéma hexagonal n’est pour l’instant pas capable, contrairement aux États-Unis, de réagir sur les grands scandales politiques et les dessous du pouvoir (seul le prochain film de Claude Chabrol, inspiré de l’affaire Elf, semble s’aventurer courageusement sur ce terrain glissant), il a au moins le mérite d’aborder frontalement certaines questions de société avec une vigueur encourageante.
Fabienne Godet est de cette génération de metteurs en scène qui considèrent leur caméra comme un outil idéal pour faire bouger les choses ou tout au moins participer à une prise de conscience collective sur l’état actuel de la France. Après plusieurs courts, un moyen et un documentaire, la réalisatrice — qui fut psychologue avant de se consacrer pleinement au cinéma — aborde son premier long métrage de fiction avec la louable ambition de coller le plus possible à ce qu’elle connaît : le terrain, la réalité du monde professionnel en entreprise, le désespoir et l’humiliation au quotidien. Impossible de ne pas voir, dans le personnage d’une journaliste rigoureuse et honnête, l’alter ego de la cinéaste.
Le scénario de Sauf le respect que je vous dois semble tout droit sorti des colonnes faits divers d’un quotidien de presse régionale : François Durrieux (Olivier Gourmet), heureux époux de Clémence (Dominique Blanc) et père aimant d’un petit garçon, travaille dans une imprimerie nantaise. Quand son collègue de boulot et meilleur ami, Simon (Jean-Michel Portal), sympathique mais un peu grande gueule, se suicide sur son lieu de travail après avoir été injustement licencié, François pète les plombs et décide de le venger, sans réfléchir aux répercussions dramatiques que son acte va enclencher.
Avec son visage commun et familier, qui porte en lui le cinéma social des frères Dardenne, Olivier Gourmet est le comédien idéal pour nous guider dans les tourments de cet anti-héros très discret qui se transforme en justicier malgré lui face au cauchemar ordinaire du capitalisme. Sa révolte contre le déni de ses collègues, sa prise de conscience de l’horreur dont a été victime son ami provoquent l’empathie. Fabienne Godet installe un malaise nécessaire (on le suit volontiers dans sa folie passagère, inexcusable mais compréhensible) qui pousse à la réflexion : en tant qu’objet de débat, Sauf le respect que je vous dois est résolument efficace, aidé par un réalisme indéniable dont la noirceur hante longtemps après la projection.
D’où vient, alors, que le film s’essouffle en cours de route, pour ne finalement plus convaincre lorsque défile le générique de fin ? Fabienne Godet délaisse son approche documentaire pour se centrer sur la cavale de son personnage qui, de faux papiers en rencontres douteuses, s’aventure dangereusement sur le terrain très balisé du téléfilm policier à la française. On ne croit pas à cette longue descente aux enfers dans laquelle François redevient un gros nounours passif, pas plus qu’à ce personnage de petite frappe gouailleuse surgie de nulle part (incarné par Marion Cotillard) qui semble avoir été créé pour colmater les trous d’un scénario devenu étonnamment bancal. Dialogues pesants, comédiens approximatifs, situations improbables… La tension qui émaillait toute la première partie du film retombe comme un soufflé dès lors que François se transforme en fugitif. Offrant un point de vue extérieur à l’histoire, la jeune reporter (Julie Depardieu) parvient à insuffler un peu de piquant dans ce polar bien fade mais, faute d’une matière réellement consistante, on se lasse bien vite de ses pérégrinations journalistiques. Dommage que le résultat final ne soit pas à la hauteur des ambitions de la réalisatrice ; reste un point de vue glacial et sans concession sur l’horreur économique, dont la sincérité et l’engagement laissent augurer d’un talent singulier… à surveiller de près.