Comment faire face à l’extrême souffrance d’un double deuil ? Comment s’expliquer de tels drames ? À quel point rechercher la paix intérieure (voire la rédemption) et par quels moyens ? Parfois convenus, ces thèmes ont également nourrit des œuvres marquantes au cinéma. Pour ne citer que deux exemples récents, repensons à Sous le sable (François Ozon, 2000) ou à La Chambre du fils (Nanni Moretti, 2001). Délicat à traiter, le thème de la douleur due au deuil ne fait pas pour autant le succès d’un film. Malheureusement pour lui – et malgré le talent de ses acteurs (Song Kang-ho, l’interprète masculin, est l’un des acteurs les plus en vue du cinéma coréen), Secret Sunshine, le quatrième long métrage de Lee Chang-dong, en est la (triste) preuve.
Une nationale à l’approche d’une ville moyenne de Corée : Miryang. Pour certains le nom de cette ville symbolise l’alliance du soleil et du secret. Pour d’autres, il ne s’agit que d’une cité ordinaire. À la périphérie de cette ville, une femme et son enfant attendent une dépanneuse. Comme pour jouer, l’enfant fait le mort sur le bas-côté. À moins que l’idée de quitter Séoul pour venir vivre dans cette bourgade provinciale ne l’enchante guère. Trop petit peut-être pour comprendre qu’ils accomplissent là le rêve du père récemment décédé accidentellement. À savoir, s’installer dans la ville natale de ce dernier pour repartir à zéro. Malgré les bruits et les regards complaisants entourant leur arrivée dans la ville, l’installation de Shin-ae, et de son fils se fait en douceur, « Moderato cantabile » – comme pourrait le murmurer Shin-ae lors de ses cours de piano. Plus qu’accueillant car loin d’être désintéressé, le garagiste du coin leur ouvre même les (petites) portes de cet univers mi-urbain mi-provincial. Mais l’adage est connu : un malheur n’arrive jamais tout seul. Un soir, l’enfant disparaît, kidnappé. À partir de là, le déroulement scénaristique du film accumulera jusqu’à l’épuisement les rebondissements les plus outranciers. L’enfer s’ouvre en effet sous les pieds de Shin-ae et n’en finira plus de l’absorber. Douleur animale, ferveur religieuse, crise agnostique, dépravation sexuelle et folie pure la traversent. Une traversée existentielle que nous finissons nous par suivre avec ennui, voire agacement, tellement Lee Chang-dong semble vouloir nous faire otages des flux émotionnels saturant l’écran. Focalisé sur l’expérience intérieure de Shin-ae, cette « brebis égarée » cherchant à tout prix une issue pour tourner le dos à la sidération l’accablant, le récit de Secret Sunshine manque indéniablement de demi-teintes.
Et Dieu dans tout ça ? Bientôt, le destin de cette femme ne semble qu’un prétexte pour explorer le bienfondé du pouvoir de la religion à sauver les âmes perdues. Filmées sur un mode documentaire frôlant la caricature, les séquences de prières déroutent. Le point de vue de Lee Chang-dong sur la question religieuse est-il à ce point incertain qu’il se refuse à asseoir un propos cohérent ? Toujours est-il qu’en proposant à la fois une vision bienheureuse – voire simplette (le metteur en scène ne l’aura pas volé, lui qui explique s’être « efforcé de choisir des têtes aussi sympathiques que possible pour les rôles de chrétiens » (?!)) – et désenchantée du protestantisme sud-coréen, le film aboutit à un non-lieu : ni la foi, ni le suicide, ce geste-offense à la morale religieuse donc, ne seraient voies de rédemption possible.
S’achevant sur le plan fixe d’une flaque de boue luisant faiblement au soleil, tandis qu’hors cadre Shin-ae semble vouloir retrouver sa dignité de femme, Secret Sunshine ne nous laisse pas de marbre. Certaines séquences nous atteignent de plein fouet (cf. la course désespérée de Shin-ae, à bout de souffle dans la nuit de la ville, le soir de l’enlèvement ; l’insoutenable rancœur de la belle-mère accusant sa belle-fille de « puer la mort »…). Néanmoins à la fin nous ressortons plutôt malaisés de n’avoir jamais pu passer totalement, par nous-mêmes, de l’autre côté : sur la rive du film et de ses émotions. Le plan dédié à l’identification du corps de l’enfant prend alors valeur de contre-exemple. L’absence dudit corps à l’image pourtant présent, là quelque part dans le champ, permettait cet accord entre le film et le spectateur. Pour sa part, ce plan final se détachant du corps et du visage de la jeune femme nous offre in extremis ce quelque chose d’indéfinissable ignoré par le film dans son ensemble. Simplement, une marge où pouvoir reprendre sa respiration, un interstice où pouvoir sentir ou deviner alentour les émotions frémir. On se rappelle alors qu’au tout début, la caméra suivait de dos, en cadre serré, la fragile silhouette de la troublante Shin-ae découvrant les ruelles de Miryang ou les couloirs de l’école du petit Jun. Ce frémissement des choses était palpable. Une certaine pudeur, un dialogue secret existaient entre le film, l’actrice et nous. Ce fut trop bref.