Burning marque autant le retour de Lee Chang-dong (premier film depuis Poetry) qu’il ne confirme cette année une domination des films à stratégies scénaristiques sur la compétition. Quelle est « l’intelligence » du film ? De glisser, l’air de rien, d’un récit à l’autre. Le film dépeint d’abord les retrouvailles de deux amis d’enfance, Jongsu et Haemi. Lui est un peu éteint, écrivain en devenir, plutôt discret, pas dynamique pour un sou. Elle est pétillante, manifestement amoureuse du jeune garçon mais aussi un peu blessée qu’il ne se soit jamais rendu compte de son intérêt. Haemi part en vacances en Afrique et voilà qu’à son retour s’immisce un troisième personnage : le mystérieux Ben, un homme au train de vie bourgeois dont les activités restent énigmatiques, et dont on ne saura au fond qu’une chose, qu’il aime « jouer ». Jongsu observe ce rival placer ses pions avec une jalousie matinée de méfiance : l’homme est trop présent, un sourire ici éveille ses doutes, un bâillement là semble pointer une duplicité, bref, quelque chose cloche. Troisième temps du récit : Haemi disparaît, Jongsu suspecte bien entendu Ben, qui lui a confié avoir pour hobby de « brûler des serres » et d’avoir trouvé « une nouvelle cible très proche de lui ». Ces enjeux, plutôt clairs lorsqu’ils sont résumés, sont dilatés dans une logique de flottement qui permet au cinéaste de ménager une ambiguïté à l’échelle du film (qui est Ben ? Où est passée Haemi ?), mais aussi à l’intérieur de séquences de filatures où il ne se passe, à la lettre, rien.
La disparition de la jeune fille engendre dès lors une stase de la narration, qui n’a plus qu’à tourner autour de situations analogues et à répéter certains détails – une autre jeune femme avec laquelle Ben reproduit son approche de Haemi, un tiroir que l’on ouvre deux fois pour y trouver un nouveau détail, etc. Le maître mot du film est l’ambivalence, avec toute la limite qu’implique le flottement permanent des scènes qui, par l’absence d’un cap ferme définissant ce qui se joue, ménagent plusieurs pistes possibles. Ainsi, la maison du héros se trouve près de la frontière nord-coréenne. Est-ce que cela nourrit véritablement une interprétation politique de l’intrigue ? Pas vraiment, mais qu’importe, puisque l’ambivalence de ce que l’on voit permet de projeter un peu ce que l’on veut sur les multiples éléments que pose le film et qui donnent du grain à moudre à la réflexion : le sort des deux parents de Jongsu, la disparité des classes sociales, les scènes de sexe où se révèle ce détail incongru du soleil reflété par les vitres d’une tour, etc. Il faut toutefois toujours en revenir à ce que le film fait : en l’occurrence, il s’efforce avant tout de flotter, de ne pas s’accrocher, de circonscrire une donnée sans véritablement la toucher. Mettre à ce point de la distance ne permet toutefois pas de creuser la profondeur des enjeux, mais plutôt de la mimer, de survoler un peu tout en laissant ouverte la possibilité d’y voir une chose ou son contraire. C’est il est vrai plutôt habile, mais aussi parfaitement vain.