Si Frankenstein s’est échappé marque, dans la mémoire cinéphilique, le début de la célébrité du réalisateur Terence Fisher, il ne faut pas oublier que le début de sa carrière intervient une vingtaine d’années avant son entrée fracassante au panthéon de l’épouvante. Élégant distributeur de classiques qui méritent amplement d’être ramenés sous les feux de la rampe (L’Aventure de Mme Muir, Butch Cassidy and the Sundance Kid…), Swashbuckler Films surprend pourtant avec cette reprise d’un film peu connu d’un auteur estampillé bis. Et grâces leurs soient rendues.
Qui est donc cet Antony Darnborough, qui co-signa deux films avec Terence Fisher (l’autre étant Égarements, la même année) ? Producteur de cinéma pendant une dizaine d’années, l’homme aura peut-être eu une importance réelle dans la réalisation de Si Paris l’avait su, mais c’est peu probable, tant la marque de Terence Fisher est forte sur le film. De prime abord, pourtant, l’image sulfureuse du réalisateur s’accorde peu avec cette histoire de romance entre un peintre désargenté résidant à Paris pendant l’Exposition universelle de 1900 et une Anglaise venue en week-end, et dont le frère a mystérieusement disparu.
Mais, à mieux y regarder, Si Paris l’avait su rentre pleinement dans la filmographie de Terence Fisher. La disparition du frère n’est pas anodine : nul ne se souvient de lui, la porte de sa chambre n’est tout bonnement plus à l’endroit où sa sœur se souvient avec certitude l’avoir laissé la veille au soir, et ladite sœur croit sombrer dans la folie. Y a-t-il surnaturel, complot ? C’est autant Borzage que Feuillade qui interviennent dans la réalisation de Terence Fisher : l’un, dans le romanesque absolu de la rencontre des deux amoureux, dans leur opposition face à une disparition qui, semble-t-elle, signale autant la folie que la ruine de l’héroïne ; l’autre, dans le parfum de mystère qui entoure cette disparition. On pense aux Vampires, autant dans ce mystère que dans le doute sinistre qui entoure les personnages secondaires : si complot il y a, à qui se fier, véritablement ?
Pourtant, c’est apparemment sous les auspices de la romance que Terence Fisher place son film. Visuellement, le réalisateur privilégie le réalisme, avec une reconstitution minutieuse du Paris de la Belle Époque – une impression d’ailleurs renforcée par le titre français du film, qui évoque volontiers un vaudeville truculent. On constate déjà, ici, la propension du réalisateur à opposer un paraître parfait et les remugles nauséabonds qui se dégagent des secrets cachés sous les apparences. Jean Simmons, l’actrice principale, oppose également un physique parfait, magnifié par une caméra qui prend le même plaisir à utiliser sa beauté qu’à se rengorger de la reconstitution précise du Paris de la Belle Époque, et un jeu toujours plus fissuré, parcouru de doutes sur elle-même, et sur sa santé mentale.
Sous des apparences ripolinées, Si Paris l’avait su suscite le malaise, la peur venant avant tout de la confrontation entre une norme clinquante, décrite sans la moindre ironie, sans le moindre sous-entendu par Terence Fisher, et la part de folie qui rôde, toujours, à la lisière de cette norme. Et c’est, bien entendu, cette folie qui intéresse avant tout le réalisateur. Basé sur une légende urbaine occidentale, Si Paris l’avait su perd peut-être un peu de son pouvoir de fascination, une fois les faux-semblants vaincus, une fois la vérité comprise. Cela n’empêche guère, cependant, de saluer le travail de mise en scène tout en suggestion de Terence Fisher, aussi digne de ses modèles romanesques et feuilletonistes que de ses futurs films les plus baroques.