Construit à la manière d’un puzzle, Simon Werner a disparu… transpose dans la France des années Mitterrand les ingrédients d’un teen movie américain, mâtiné de polar et de fantastique. S’il ne tient pas toutes ses promesses, ce premier film très maîtrisé constitue cependant une bonne surprise, et atteint par moments une grâce assez poignante.
En mars 1992, dans une petite ville tranquille de la banlieue parisienne, plusieurs élèves d’une classe de terminale disparaissent mystérieusement. Épousant tour à tour les points de vue de quatre lycéens touchés de près ou de loin par les événements, le film retrace ces quelques journées d’angoisse diffuse.
La construction en chapitres et les boucles temporelles, qui permettent de revoir certaines scènes à travers des angles différents (et complémentaires), rappellent bien sûr Elephant. Mais si les protagonistes de Simon Werner a disparu… sont pour la plupart très photogéniques, ce ne sont pas les anges éthérés que magnifiait la mise en scène élégiaque de Gus Van Sant. Ces belles adolescentes tâchant de paraître plus sûres d’elles qu’elles ne sont et ces jeunes mâles travaillés par leurs hormones sont plutôt présentés comme des individus en devenir, saisis dans l’entre-deux caractéristique de cette époque de la vie : pas encore bien définis ni très matures, ils sont déjà trop âgés pour éveiller l’attendrissement que l’on peut éprouver devant certains « beaux gosses » qui refusent le monde des adultes.
Plutôt que Van Sant, la référence de Simon Werner a disparu… serait plutôt David Lynch. Le paysage pavillonnaire à l’américaine de cette banlieue « middle-class », à la fois coquet et morne, semble cacher d’inavouables secrets derrière ses façades interchangeables. En se penchant sur ces pelouses bien tondues qu’aucune haie, clôture ou grillage ne vient séparer, on ne serait pas surpris de découvrir l’oreille coupée qui ferait pendant à celle de Blue Velvet…
Grâce à des techniciens aussi aguerris et reconnus que la chef opératrice Agnès Godard, à une bande-son très travaillée bénéficiant des compositions de l’excellent groupe de rock alternatif Sonic Youth et à une mise en scène très soignée qui à chaque nouveau chapitre renouvelle avec pertinence ses partis pris esthétiques, le premier film de Fabrice Gobert bénéficie ainsi d’une ambiance très prenante, encore renforcée par le choix judicieux de situer l’action au début des années 1990 : cette période reste en effet esthétiquement bien proche de notre début de XXIe siècle, mais l’absence de gadgets technologiques et informatiques crée un subtil décalage, une intemporalité quasi fantastique.
Hélas, l’édifice du film repose sur des fondations scénaristiques assez fragiles, et la résolution de l’énigme apparaît assez décevante et hors sujet. Simon Werner a disparu… s’en trouve réduit à un exercice de style, brillant et prometteur, mais un peu désincarné, dont on peine parfois à sentir pleinement la nécessité. Reste le troisième segment du film, le plus fort, qui à lui seul mérite qu’on se prête au jeu de Fabrice Gobert : alors qu’il s’était jusqu’à alors concentré sur des figures un peu lisses d’adolescents un peu trop propres sur eux (Jérémie, Alice), le film gagne tout à coup en épaisseur et en émotion lorsqu’il s’attache aux pas de la tête de Turc de la classe, Jean-Baptiste Rabier (que les élèves, et l’intitulé-même du chapitre qui lui est consacré, n’appellent que par son nom de famille – petite touche de justesse sur la cruauté adolescente). Ce personnage secret dont personne ne semble remarquer la solitude et la sensibilité est magnifiquement incarné par Arthur Mazet, qui l’interprète avec une grande finesse. Rien que pour ces quelques vingt minutes de grâce pendant lesquelles les qualités formelles du film sont mises au service d’une écriture subtile et délicate, Simon Werner a disparu… mérite amplement que l’on parte à sa recherche.