Figure majeure de la littérature d’heroic fantasy, contemporain et ami de Lovecraft, l’auteur de pulps texan Robert E. Howard a donné au genre une foule de héros et d’univers hauts en couleur. Le souffle épique qui parcourt son œuvre a tout pour inspirer le cinéma. Mais jusqu’à ce jour, celui-ci n’en avait retenu que le versant le plus hypertrophié et forain. La faute, sans doute, au succès public de la première adaptation en long métrage de cet auteur, le culte Conan le Barbare de John Milius, qui inspira à sa suite une grosse poignée d’autres portages à l’écran des héros aux plus gros bras du même créateur (Conan de nouveau, Red Sonja, Kull…). En voyant arriver ce Solomon Kane (changement de personnage, d’univers et d’ambiance), on pouvait a priori se réjouir que l’œuvre cosmopolite de Howard inspirât enfin d’autres choses que du divertissement haltérophile dont la gonflette reaganienne a depuis longtemps perdu sa luisance. Une satisfaction de courte durée…
C’est que l’adaptation des aventures de ce puritain chasseur de sorcières et de démons de l’Angleterre du XVIIe siècle est tombée entre les mains bien hasardeuses de la « nouvelle vague » de cinéma de genre qui a éclos ces dernières années au Royaume-Uni. Hasardeuses, parce que si on peut reconnaître un dénominateur commun aux démarches de ces nouveaux venus tenant de se réapproprier de façon fracassante les acquis de leurs aînés anglais et américains (un peu comme dans le reste de l’Europe, finalement, mais avec peut-être plus d’affinités), il est difficile d’y voir une quelconque cohérence ou même une vraie raison de s’emballer pour cette activité. Pour un Neil Marshall habile jongleur de série B travaillant honnêtement — voire crânement, cf. Doomsday — sa démarche d’élève doué et plein de ressources, combien de suiveurs médiocres, voire de pathétiques prétentieux, à l’image d’un Guy Ritchie probablement précurseur de cette nouvelle tendance avec ses pauvres polars tarantinoïdes dopés au tuning visuel ? Michael J. Bassett fait partie des suiveurs, et pas des plus inspirés. Après avoir œuvré petitement, comme beaucoup de ses camarades, dans le genre horrifique (La Tranchée, Wilderness), le voici qui se frotte donc à la dark fantasy.
Mauvaise graine
Son approche de l’adaptation a un air d’opportunisme dans la démarche, mais des idées assez sympathiques affleurent. Il ne s’agit pas d’un portage à l’écran d’écrits de Howard en particulier, mais d’un prequel imaginé à partir des aventures de Kane dans leur ensemble et retraçant les conditions de la genèse du héros tel qu’on le connaît. Rien de très original : cela fait un bout de temps que Hollywood applique le même traitement aux super-héros locaux : Batman, les X‑Men… Néanmoins, l’écriture de ce « Solomon Kane : Origins » avait au moins le mérite d’approfondir joliment le sillon de la dark fantasy. Avant que Howard ne conte ses exploits, donc, l’homme se révèle un sinistre soudard tuant et pillant sur terre et sur mer pour le compte de la Couronne britannique, mais porteur de vilains secrets : entre autres turpitudes, il a conclu un marché sur son âme avec des démons, façon Faust, et se démène depuis comme un beau diable pour repousser l’échéance. Finalement dégoûté de son train de vie, il revient chercher une pieuse pénitence dans son Angleterre natale, mais l’ambiance n’y est plus guère propice, depuis que les troupes maléfiques d’un seigneur de guerre tout de peau humaine cagoulé sèment mort et destruction à travers le pays. Notre ex-homme d’épée et ex-moine se trouve bien vite partagé — et aussi vite départagé ensuite — entre rester passif sur son chemin de rédemption et se souiller de nouveau par le fer et la poudre de l’héroïsme.
Il y avait une belle promesse dans ce personnage au curriculum vitae récrit par Bassett : celui-ci nous laisse imaginer par anticipation un homme perpétuellement partagé entre ciel et enfer, croyance et non-croyance, remords des crimes passés et pulsions meurtrières tenaces, élans d’humanité et rage bestiale. L’ambiguïté prête à donner une existence au personnage ne dépasse cependant pas le stade de l’écriture : le metteur en scène ne fait pas montre de la moindre idée pour la rendre palpable à l’image, peu aidé, il est vrai, par son interprète, un fade James Purefoy qui semble courir après la « cool attitude » d’un Hugh Jackman entre X‑Men et Van Helsing. Ainsi, au lieu de se faire le creuset de tous ces courants intérieurs contradictoires, son puritain ne fait que passer arbitrairement, au gré des besoins du scénario, de la représentation conventionnelle d’un état à celle de l’autre et vice versa : un coup je crois en Dieu, un coup je n’y crois plus, un coup je me laisse tabasser docilement — voire crucifier, pour bien marquer le coup — un coup je riposte en étripant tout le monde, etc. Prometteurs sur le papier, le personnage et son parcours ne prennent forme qu’en un alignement de clichés insipides. En vérité, Bassett ne se montre habité par aucun désir personnel de s’approprier ce qu’il prétend mettre en scène, mais uniquement par celui de recracher servilement le tout-venant de la fantasy hollywoodienne, qu’il s’agisse de sa vision d’une époque ancienne et soumise à la barbarie (le mélange standard de pluie, de boue et de grisaille), des visages du bien et du mal ou de l’usage des ralentis pour donner de l’emphase aux actes héroïques. Sa vision du genre marque autant l’écran qu’une médiocre production télévisée — et dire cela revient presque à médire de la télé où, en ce moment, certains font bien plus d’efforts que Bassett pour relever le niveau d’ambition.