Neil Marshall avait fort à faire après avoir fait table rase sur le cinéma d’horreur il y a trois ans avec The Descent. De façon prévisible, Doomsday ne tient pas la comparaison – mais de façon plus étonnante, il n’en avait manifestement aucunement l’intention. Film hommage-référence au cinéma bis des années 1980, New York 1997 et Mad Max II en tête, le nouveau Neil Marshall est une grosse friandise parfois indigeste mais passablement réjouissante pour les fans du cinéma de John Carpenter et de George Miller.
Nous sommes en 2035. Il y a une trentaine d’année, un virus terriblement létal s’est répandu sur le nord de l’Angleterre, forçant les autorités en place à construire un mur d’enceinte impénétrable et à isoler la région du reste du monde, en espérant contenir l’épidémie. Aujourd’hui, alors que l’Angleterre est en proie au chômage et à la délinquance, la maladie refait surface dans les bas-fonds londoniens. Le Premier ministre anglais charge la flic Eden Sinclair, une baroudeuse qui ne s’embarrasse guère de morale ou de scrupule, de retourner dans la zone infectée, pour retrouver la trace d’un médecin enfermé là-bas, et qui aurait potentiellement trouvé un vaccin, dans un délai de quarante-huit heures, au-delà duquel Londres sera inondé pour tenter une nouvelle fois de contenir la contagion.
Le début de Doomsday a comme un petit air de déjà vu : le film part d’une situation presque exactement similaire à celle de New York 1997 de John Carpenter – avec la même typographie, la même introduction, les mêmes effets informatiques datés, et même le bandeau sur l’œil de l’héroïne, référence directe à Snake Plissken, l’ultime anti-héros du film post-apocalyptique, immortalisé par un Kurt Russell dans le film de Carpenter. Et que découvre notre charmante héroïne dans les rues des villes abandonnées de la zone infectée? Toute une faune revenue à l’âge du punk et de la New Wave (ils ont une forte tendance au body art, aux crêtes multicolores, et au cannibalisme ritualisé sur « Spellbound » de Siouxie and the Banshees), qui rappelle évidemment le monde déliquescent et totalement cartoonesque de Mad Max II. Mais Marshall ne s’arrête pas là. Il a manifestement une bonne culture du cinéma bis de ces années-là – et depuis, et accumule les références visuelles : Evil Dead III, Le Seigneur des Anneaux, Le Retour du Jedi, La Jetée / L’Armée des Douze Singes, Aliens… Il ne se passe pas un moment sans que les références n’envahissent l’écran – parfois, souvent, gratuitement. Dépourvu des manières de réalisation qui assurent l’homogénéité d’un Tarantino, dépourvu du talent d’un Rob Zombie qui réussit parfaitement, lui, à recycler ses références, Marshall aligne les clins d’œil à une vitesse qui fait friser la crise d’épilepsie. Soutenu par un script passablement complaisant (80’s, vous vous rappelez ?) au rythme effréné, le réalisateur ne s’embarrasse pas de cacher son intention : faire, à l’instar des frères Strause dans Aliens vs Predator : Requiem, un film de fan décomplexé, érudit sans être lourd, avant tout pour le plaisir des yeux.
Et le plaisir est là, ne nous le cachons pas. Le personnage de Snake Plissken, ici recyclé par Rhona Mitra, est le anti-héros le plus mesquinement charismatique et sympathique de l’histoire du cinéma. Celui de Mad Max ne lui cède rien en matière de cynisme désabusé et matérialiste. Reprendre ces figures mythiques de l’anticipation fonctionne à merveille, et Eden Sinclair se pose en digne héritière. Mais Carpenter, en décrivant Manhattan comme une île-prison coupée du monde, interrogeait avec une terrible pertinence l’occident sur sa propension au protectionnisme autant économique qu’intellectuel. Miller, dans Mad Max II, décrivant une société chaotique et rendu à la sauvagerie primale, faisait le portrait d’une humanité déchue qu’il n’est pas exagéré de rechercher dans les pires zones de non droit de notre monde actuel. Marshall, lui-même, avait atteint sa plus grande réussite dans The Descent en donnant corps à la méchanceté et à la sauvagerie primale en chacun de nous : la descente était plus le retour à l’état primaire de ses héroïnes, que leur parcours dans les grottes. Que dire du discours de Marshall, avec Doomsday ? Malheureusement, le film est bien loin de ses modèles affichés, et si l’essence subversive de ceux-ci demeure, elle est atténuée. Marshall continue sa galerie de personnages féminins forts, passablement amoraux et indépendants – déjà amorcée avec brio dans The Descent, mais ici le discours n’atteint pas vraiment son but, empêtré qu’il est dans ses citations incessantes.
Une déception, alors, que ce nouveau Neil Marshall ? Pas vraiment, puisque le film remplit fort honorablement le contrat qu’il s’est fixé ; puisque Rhona Mitra, avec une apparence voisine, permet de mesurer le gouffre entre la plastique impeccable et le jeu atone de Kate Underworld Beckinsale et le sien, un tantinet plus épais tout de même ; parce qu’Eden ne dépareillerait pas aux côtés de Snake et de Mad Max ; mais surtout parce que, sorti avant le remake annoncé par Len Wiseman (réalisateur des Underworld justement) de New York 1997 avec Gerard Butler, Doomsday ressemble bien plus au film hommage que les fans de Carpenter attendent que ce que pourra faire Wiseman, au vu de son mépris avoué pour le matériau d’origine. Doomsday est un film de fan de la première heure, avec ses défauts et ses qualités, mais merci, malgré tout, à Neil Marshall : entre fans, on se comprend.