Pour son cinquième film, le premier depuis sept ans, Patricia Mazuy revient au sujet de l’équitation en s’intéressant à un milieu tout à fait unique : le dressage. Entre primitivité du lien homme-animal et feux aveuglants de l’univers des concours, la cinéaste s’applique assez patiemment, documente avec soin les gens et les lieux, et livre un film sensible et élégant bien qu’un peu ordinaire.
Au pas
L’aristocratie hippique méticuleusement décrite par Patricia Mazuy voit jaillir en elle des individus anormaux. Ce sont des marginaux, dissociés de leur entourage humain, livrés de tout leur être à une autre espèce : le cheval. C’est ce qui réunit, pas à pas, les personnages d’asociaux incarnés par Marina Hands et Bruno Ganz. Le monde dont il font partie, au mieux les accueille pour des raisons peu convenables (la stature de légende du dresseur mondialement renommé), sinon les rejette simplement. Lorsque Gracieuse (sic) met les pieds dans la gadoue du haras tenu par Joséphine de Silène (Josiane Balasko, dans une digne vulgarité assez bien équilibrée), elle n’est personne. À la faveur d’une coïncidence, elle monte en selle sous les yeux du dresseur. Dans une scène assez belle, les deux êtres se détachent soudain du reste, sans faire tomber toutes leurs frontières, mais en s’extrayant joliment du monde social au profit d’un rapport primitif à l’animal. Patricia Mazuy a le bon sens de ne pas s’engager dans une galerie d’alourdissements qui auraient consisté à essayer de filmer cette symbiose de l’homme avec la bête. Pas d’abducteurs tendus, de rotules saillantes : le dressage n’est jamais visuel. Le dévouement de Gracieuse à l’animal s’exprime moins dans sa présence avec lui que dans son absence dans le monde des hommes. Elle s’éclipse toujours.
L’attitude énigmatique de la cinéaste est donc assez justifiée, Sport de filles reposant beaucoup sur des non-dits, un langage non traduit : celui de la pression des doigts sur les rênes. En revanche, le film reste assez codé par cette relation homme-animal, comme s’il s’adressait à une audience d’intéressés. Le public semble être invité à une sorte de complicité invisible avec ces passionnés, et la connaissance de cette intimité avec l’animal pèse parfois comme un prérequis au film. Sport de filles s’en trouve un peu embrumé, mais reste porté par une agréable vitalité. On apprécie l’application avec laquelle Patricia Mazuy rapporte son film à la matière, à la boue, à l’effort, à la primitivité – un registre sur lequel le titre vient poser un amusant contrepoint.
Les séquences les plus peuplées, notamment les concours et les ventes, témoignent d’une belle application documentaire de la part de la réalisatrice. Sport de filles ne manque jamais d’individus, laisse une bonne place aux à‑côtés, et cela notamment dans la partition sonore du film. Le spectateur y découvre un réel plaisir à prêter une oreille attentive aux dialogues hors champ, à la vie alentour. Au milieu, le petit groupe d’acteurs donne à voir des performances réussies, qu’on les y attende – Marina Hands, somme toute assez prévisible – ou pas – Josiane Balasko, en subtil décalage avec sa gouaille habituelle, et Bruno Ganz, tout à son rôle en langue étrangère. Même si Sport de filles risque de s’avérer quelque peu oubliable, il reste un agréable moment de cinéma intelligemment construit, doté d’une grâce juste, plaçant ses pions sur des absences, des non-dits, des trous, bref : habile.