La vague de chaleur estivale qui règne sur la France depuis quelques jours est idéale pour la sortie du nouveau long-métrage de Patricia Mazuy : l’insolation semble toucher aussi bien les personnages à l’intérieur de l’écran que les spectateurs dans la salle. Sensation d’euphorie délirante puis mal de crâne, Paul Sanchez est revenu ! passe en revue tous les symptômes d’une exposition un peu trop longue au soleil. Son démarrage pied au plancher a pourtant de très beaux atouts : amorcé sur deux récits parallèles (le quotidien d’une gendarmerie du Var et la mystérieuse déambulation d’un homme solitaire), le film se dérègle instantanément, oscille entre la farce potache et l’inquiétant fait divers. D’emblée, Mazuy donne à sa comédie de province – avec ses caractères et ses lieux si caractéristiques, du journaliste de PQR à la station essence – un effet de bocal agité dans tous les sens, créant de l’instabilité et de la surprise dans le jeu des acteurs. Une folie douce est inoculée comme un virus dans un territoire et un contexte parfaitement reconnaissable : la réalisatrice n’a pas cherché à estomper les signes du réel (les communes de Roquebrune-sur-Argens ou des Arcs clairement identifiées, un écusson de club de rugby, une marque d’alcool ou de voiture, le véritable nom du quotidien local…), elle les utilise pour ancrer son histoire dans un paysage qui fait sens immédiatement et en radiographier ses mutations.
Ce monde azimuté nourrit sa propre fièvre. La brigade essaye, au début du film, de détourner du mieux qu’ils peuvent la presse régionale de l’affaire qui les occupe – Johnny Depp arrêté en plein ébat sexuel sur le bord de la route, sa voiture de sport confisquée sur le parking de la gendarmerie – en signalant le retour de Paul Sanchez, l’homme qui aurait tué, dix ans auparavant, toute sa famille avant de disparaitre dans la nature. La convocation de cet alter ego fictionnel de Xavier Dupont de Ligonnès – Mazuy ne cache pas sa source d’inspiration – fait l’effet d’une double détente. D’abord, elle crée un pur personnage-idée, dans une filiation hitchcockienne du George Kaplan de La Mort aux trousses, une rumeur cinématographique dont l’ombre va sans cesse traverser le film, sans jamais se laisser être saisie entièrement. Ensuite, elle aimante l’extravagance du film et lui donne sa motricité : tout le petit cirque s’embarque dans une vraie-fausse chasse à l’homme, empli d’une allégresse qui tranche avec la noirceur des actes rapportés. Au cœur de cet étonnant parti-pris, se révèle le joyau du film : la jeune gendarmette Marion (incarnée par Zita Hanrot qui laisse échapper, dans son jeu délicat, une espièglerie bienvenue) est entièrement définie par son désir de fiction. Obsédée par le nom de Paul Sanchez, elle s’abandonne progressivement, fouille dans les archives, voit dans cette figure monstrueuse l’occasion de pimenter son quotidien. L’audace de Patricia Mazuy dans les portraits de jeunes filles – qui courent sur toute sa filmographie – trouve, dans cette brigadière dévouée mais têtue et gaffeuse, une déclinaison délicieuse. L’attraction irrésistible qu’elle ressent déborde de tous les côtés : pulsions sexuelles, pulsions de mort, pulsions de l’instant. La quête invraisemblable dans laquelle elle se lance la transforme littéralement : son corps, contraint dans l’uniforme bleu-franchouillard de la gendarmerie, devient une matière vitaliste. Marion charme, hypnotise et séduit. Elle s’active, court, ne dort plus. Sa joie enivre et exaspère le monde autour d’elle, à commencer par son commandant (Philippe Girard), militaire à l’ancienne jusque dans son regard bleu-horizon. La relation entre les deux résume à elle seule le projet sous-jacent du film : mettre sens dessus-dessous les lignes rigides de la comédie française, en faire ressortir toute l’ambivalence, faisant pousser les moments burlesques sur le terreau sordide du crime psychopathe.
De l’insolite à l’insolation
En jouant sur son enracinement provincial, dans une mise en scène qui arrache des pans de réel pour mieux les tordre et les exacerber, Paul Sanchez est revenu ! rejoint à sa manière l’hybridité du cinéma de Dumont ou de Giraudie. C’est peut-être en s’approchant de ces deux modèles que le film de Mazuy montre ses faiblesses. Ce dernier, malgré toutes ses belles dispositions, ne parvient pas véritablement à perturber, comme si, incapable de réelles informités, il faisait reculer la frontière de « ce qui est acceptable » jusque dans ses derniers retranchements mais sans jamais la franchir. On pourrait se féliciter d’un cinéma qui conserve à la fois l’exigence dans sa mise en scène et l’accessibilité de son caractère populaire. Mais celui-ci se fait emporter par son enthousiasme. Protagoniste miroir de Marion, l’homme solitaire qui erre dans la campagne varoise – et qui devient, par la force des choses, l’incarnation idéale du souvenir de Paul Sanchez – n’apporte pas le contrepoint espéré qui construirait un dialogue complexe entre les deux. Laurent Lafitte prête ses traits d’acteur star mais échoue à donner une âme retorse à son personnage. Bardé de tics scénaristiques – incantations prophétiques fielleuses, motifs directement empruntés au western (montagnes rocailleuses, fusil, caban), comportement illogique et sensibilité à fleur de peau –, il semble plus réciter une partition de bon élève, oubliant d’apporter le trouble nécessaire. Boiteux, Paul Sanchez est revenu ! s’évertue à poursuivre sa fuite en avant malgré ce handicap. Il finit par faire feu de tout bois, imaginant le trop-plein narratif comme le camouflage approprié à ses largesses : plongée psychanalytique très sérieuse, chasse à l’homme (avec, comme symptôme de la fin de la modestie qui définissait le film jusqu’à présent, l’arrivée des gros moyens et du GIGN), comédie romantique rocambolesque etc. Le décalage initial troque le ton rafraîchissant contre un déroulement bien plus brouillon qui s’étire et rebondit jusqu’à plus soif. Commencé dans un insolite tableau d’une France qui s’ennuie sous la chaleur estivale, le film se termine dans la précipitation de la fin des vacances, assommé par le cagnard comme rattrapé par ses prérogatives de thriller policier.