Du destin de Lady Chatterley, par-delà la fin du film de Pascale Ferran : Marina Hands revient en mère célibataire, sous la caméra de François Rotger. Mère d’une jeune Jen, dont les atermoiements sentimentaux vont précipiter l’équilibre de ce petit monde dans le chaos : hélas pour le film, subtilement référentiel, trop prendre son temps transforme la fascination… en ennui.
Sarah, jeune mère flanquée de son adolescente de fille, croit trouver le bonheur dans le mariage – un mariage violemment désapprouvé par son père, et qui se termine par le suicide de son mari. Laissée seule avec sa fille, elle accepte l’aide d’Ian, le demi-frère du défunt, qui s’installe bientôt chez elle. Rapidement, les ragots se mettent à courir, tandis que Jen commence à entretenir en son for intérieur une relation fantasmée avec le sombre et taciturne invité…
Comment, et surtout pourquoi, combattre les atermoiements de son cœur, ou bien, tout aussi justement, de ses propres poussées de désir ? Tel est le sujet de Story of Jen. Sarah, tombée enceinte avant de rencontrer son mari, est encore dans la fleur de l’âge quand celui-ci se suicide. On la sait fille d’une race fière, au sang orgueilleux, et suffisamment éduquée pour mépriser l’ordre moral imposé par la communauté passablement recluse, où elles vivent avec sa fille. Jen, quant à elle, est toute à la découverte de sa propre féminité, de ses propres désirs, qu’elle veut incarner dans la figure primale de Ian. Sarah, finalement isolée dans sa frustration par le consensus moral, tombe dans une dépression violente, et Jen va toujours plus se séparer d’elle.
La lutte entre le plaisir, le désir et la morale était déjà mise en scène dans Lady Chatterley. Ici, Constance a vieilli – ou rajeuni, c’est selon. Vieillie, c’est une Marina Hands tour à tour désespérée et autoritaire – semblant étonnamment peu concernée par son rôle dans un premier temps, l’actrice se laisse posséder dans la seconde partie du film, lorsque la folie affleure. Rajeunie, c’est Jen (Laurence Lebœuf, apparemment sans lien avec le simplet fétiche de Spielberg) qui, comme l’indique le titre, est au centre du film. Secrète et en rupture au monde, la jeune fille ne se confie qu’au spectateur, comme à un journal intime – explicitant des actes qui, pour tous ses contemporains, restent obscurs. Pourquoi ne pas garder le mystère, ne pas laisser le spectateur, lui aussi, dans le vague ? François Rotger semble considérer que ces confidences sont nécessaires pour placer en regard la norme et l’intériorité de son héroïne. Pourquoi pas ? Tout comme il semble considérer qu’une bonne heure et demi est nécessaire à l’établissement des conditions d’émergence du drame – ce qui est une erreur. De silences lourds en répétitions lénifiantes, le film martèle plus qu’il n’induit, sans parvenir autant à captiver son auditoire – jusqu’à ses vingt dernières minutes.
Car l’ambiance des quelques étranges moments panthéistes qui parsèment le début de Story of Jen – un bain de minuit pour Ian et Jen, une rencontre surnaturelle proprement terrifiante entre Sarah et son défunt mari – prend tout à coup le pouvoir, lorsqu’Ian décide de fuir into the wild, dans le parc national. Évoquant plus Dead Man de Jim Jarmusch que le film de Sean Penn (la musique de François Rotger est d’ailleurs passablement réminiscente de la composition de Neil Young), les pérégrinations d’Ian font réellement de lui la figure mythologique qu’il évoque subrepticement depuis le début du film : Pan. Et son pitoyable poursuivant humain, face au dieu, ne saura aucunement venir à bout de lui – il faudra plutôt l’intervention d’une autre figure sexuelle forte, associée quant à elle au folklore des Indiens d’Amérique de l’ouest… Jamais la mise en scène ne brille autant que dans ces moments mythologiques, peinture primordiale du désir et de la mort – une fin qui arrive comme un dernier souffle fantastique, dans un film qui eût gagné à plus de légèreté.