On distingue généralement nanars sympas et nanars simplement exécrables. En dépit d’un robuste Tom Hardy, incompréhensiblement embarqué dans cette galère, McG ne faillit pas à sa réputation de tâcheron en livrant une comédie aussi mal foutue que filmée, qui s’inscrit résolument dans cette seconde catégorie.
L’impartialité semble parfois une inatteignable chimère : on a beau vouloir se défaire de ses préjugés, quand vient par exemple le temps d’aller voir un film de McG (non, toujours pas de voyelle), on se pince un peu le nez, en espérant très fort qu’il y ait dans ce geste moins de snobisme et de mauvais esprit que de cinéphilie. Argument-massue, la filmographie du réalisateur-burger, sorte de Uwe Boll vaguement amélioré, suffit sans doute à justifier un tel manquement éthique, même s’il faut concéder que son Terminator était plus supportable (meilleur ?) que le précédent – voilà, c’est dit. Mais à défaut de pouvoir se prétendre « objectif » ou bienveillant, on s’efforce au moins d’admettre par avance les possibles qualités d’un film – bref, on accepte la possibilité d’avoir eu tort.
Commençons donc par les qualités du film, mi-rom com mi-buddy movie (façon Men in Black pour le décorum des bureaux) mi-comédie d’espionnage musclée tendance Mr & Mrs Smith (oui, cela fait une moitié de trop, et c’est peut-être le problème), soit un produit censé fédérer publics féminins et masculins. Elles s’énoncent en deux mots : Tom Hardy. Même ensablé dans un contexte aussi navrant, l’acteur britannique s’en sort presque sans préjudice – pas sa faute, a‑t-on envie de dire. Pas shakespearien pour un sou contrairement à nombre de compatriotes (ce n’est de toute façon pas le lieu), Hardy en impose naturellement, et sa présence ressort d’autant plus à l’écran qu’il est censé faire ici la paire avec Chris Pine. L’Américain avait agréablement surpris dans Star Trek ; Don Juan de vidéoclub, il se montre dans Target aussi fade qu’initialement supposé, voire aussi pénible que Reese Witherspoon, blonde ni piquante ni hitchcockienne sur laquelle on aura la galanterie de ne pas s’étendre (quoique…), contrairement à lui. Précisons que le dommage n’est pas irrémédiable pour ces deux-là puisqu’ils auront (comme Hardy, du reste) prochainement l’occasion de se refaire la cerise, dans la veine auteur pour madame (attendue dans Mud, de Jeff Nichols), et divertissement de qualité pour monsieur (Star Trek 2).
Pour le reste, Target est un machin balourd, moche et assez vulgaire (ce qui n’est pas rédhibitoire tant que c’est drôle), ponctué de deux trois blagues ou situations plaisantes, lesté de l’indispensable bonne copine trash, et surtout plombé par une intrigue consternante de je‑m’en-foutisme ; à se demander qui s’est le plus détendu, à l’arrivée, du spectateur contraint de gober la « fantaisie », ou de ceux qui l’ont produite. Totalement dépourvu de rythme, de liant, bref d’intérêt, le film de McG se déroule si lâchement qu’il devient très vite un insipide « portnawak ».
Le réalisateur de Charlie et ses drôles de dames confirme ce faisant qu’au royaume des yes men, on peut trouver plus honnête exécutant, tant il peine ici à filmer l’action, au cours de scènes bâclées et singulièrement illisibles, gunfights ou close-combats singeant poussivement le tout-venant de l’actioner hollywoodien post-greengrassien. Soyons sport et omettons d’évoquer la vengeance foireuse du vague ersatz de bad guy teuton de l’affaire (Til Schweiger, comme d’hab’), lequel a l’obligeance, comme autrefois les méchants de Bioman, d’attendre en arrière-plan la conclusion du film et le climax de la rivalité amoureuse de nos héros (à moins que l’intrus du trio ne soit une intruse…). C’est sans doute une défaite de la pensée, mais parfois, écouter ses préjugés, c’est simplement suivre son instinct de préservation.