Virgil Oldman porte bien son nom : respectable critique d’art d’un certain âge, au jugement sûr, il vit de sa passion déclarée pour l’art pictural, et de sa passion, plus secrète, pour son antre privée, cabinet de peinture où s’accumulent les portraits de femmes. C’est d’ailleurs sa seule relation avec le beau sexe, jusqu’au jour où une jeune héritière mystérieuse s’attache ses services pour estimer l’héritage laissé par ses parents. Virgil Oldman se rend bientôt compte que la jeune fille habite les pièces secrètes et les passages cachés de la demeure, refusant de sortir – suscitant chez lui une dangereuse fascination.
Ce qui est visible et ce qui ne l’est pas : voilà ce qui préoccupe Giuseppe Tornatore. Comme son protagoniste, il cherche à déchiffrer ce qui se trouve hors du cadre, tente de trouver la certitude figée d’un tableau dans le monde réel, qu’on ne peut pourtant pas si facilement encadrer. L’un comme l’autre devrait pourtant savoir que ce n’est pas si simple : dès le début du film, Oldman découvre un tableau, dissimulé sous des couches centenaires de moisissure – l’image dans le tableau a toujours quelque chose de dissimulé, un arrière-plan, un détail… Toujours de quoi donner corps aux obsessions autocentrées d’un passionné d’art.
Roman gothique
Ainsi, la demeure de la mystérieuse jeune fille recèle également ses petits secrets : chambres dissimulées, greniers oubliés, rouages d’une mécanique mystérieuse et fascinante disséminés un peu partout. Lorsqu’ils parviennent à lever les premiers voiles entourant le secret de la demeure, le personnage comme le réalisateur commencent à douter de la sincérité des humains mêmes, via une narration sur le fil du rasoir : est-on dans un traditionnel roman à mystère, ou s’inspire-t-on de la fantasmagorie romantique de Villiers de l’Isle-Adam dans L’Ève future ? Tornatore louvoie, cherchant moins à brouiller les pistes pour embrumer son récit, qu’à s’interroger sur la capacité du cinéma à aborder toutes les facettes du réel.
La demeure grisâtre de la jeune fille est une véritable antre fantastique : grinçante, dévorée par les stigmates du temps, elle est filmée par Tornatore dans la tradition de Poe, et est le lieu de moments de tension feutrés, remarquablement orchestrés. Véritable être avec ses secrets et ses malveillances, la maison s’oppose à l’appartement du protagoniste, impersonnel, protégé – il y a un grand danger pour lui à s’attacher à un autre lieu de vie que celui qui le représente profondément, si solitaire soit-il. Poe encore, dans la présence de la machine : les mystérieux mécanismes qui vont obséder Oldman, certes, mais également la présence d’une machine sociale, humaine – une machination – dont les rouages sont, eux, bien plus finement cachés.
La mécanique du cœur
Plus proche de Laurent de Bartillat dans son thriller littéraire et pictural Ce que mes yeux ont vu que de Peter Greenaway, Giuseppe Tornatore n’est pas obsédé par la peinture et ses codes, comme le réalisateur de La Ronde de nuit. Son approche est plus volontiers celle d’un feuilletoniste, avec cependant un rythme et une esthétique singulièrement posés – à l’opposé, dirait-on, de l’hystérie délirante de Danny Boyle avec Trance, cousin de ce The Best Offer. En procédant avec circonspection, Giuseppe Tornatore construit un récit qui semble considérer comme profondément vulgaires les effets de manche du récit à surprise. Plus intéressant, lui semble son protagoniste, interprété avec délice par Geoffrey Rush, et ses mécanismes intimes. Fable amère sur l’espoir et l’idéal, The Best Offer fait preuve d’une retenue et d’une maturité appréciables.