Reconnaissons un mérite à Danny Boyle : ses choix de projets sont pour le moins erratiques et imprévisibles. Après avoir raflé la mise (ce qui ne laisse pas d’étonner) avec Slumdog Millionaire aux Oscar 2009, il avait retrouvé son penchant pour l’esthétique clip dans 127 heures – une esthétique qu’il pousse au paroxysme avec ce Trance, son Inception à lui. Un feu d’artifice de couleurs et de fanfreluches narratives bien indigeste.
L’hypnose, c’est le bélier du quatrième mur cinématographique. Votre scénario permet-il de douter de la réalité de la perception des personnages ? BAM ! Voilà ouvertes les portes de l’écran, le spectateur va se faire happer par le vertige narratif, où est le faux, où est le vrai, ô, suprême vertige de la narration cinématographique : nous faire douter de notre propre réel. C’est tout à fait formidable, mais, comme l’avait déjà prouvé Christopher Nolan à son corps défendant, tout le monde n’est pas Mamoru Oshii, Satoshi Kon ou Terry Gilliam. Danny Boyle s’inscrit ici dans la longue tradition des réalisateurs incapables de maîtriser cette ambition folle : rendre une justice cinématographique au fantasme, et lui donner du sens.
Nous voici donc en présence de Vincent Cassel, voleur extraordinaire aux trousses d’un Goya associé à un James McAvoy commissaire priseur complice du vol. Problème : le tableau n’est pas où il devrait être, seul McAvoy sait où le trouver, et il a perdu la mémoire. Il nous faudra donc l’aide de Rosario Dawson, spécialiste de l’hypnose, pour débloquer la mémoire traumatisée du complice récalcitrant. Arthur ! Où t’as mis l’corps ?
Dans un prologue énergique et plutôt bien foutu, James McAvoy nous gratifie donc d’un monologue face caméra – hey ! Spectateurs ! Constatez l’audace : la main est tendue, pénétrez dans l’écran. Et bientôt, lorsque le piment de l’hypnose vient démultiplier les possibilités de réel, l’auditoire se penche – c’est proprement vertigineux. Et Danny Boyle de sauter à pieds joints dans le gouffre narratif qui lui tend les bras, plouf.
Seule experte en matière d’hypnose, Rosario Dawson va donc orchestrer les séquences, plus ou moins surréalistes, qui se juxtaposent comme autant de pièces d’un puzzle dont le sens (assez mal) caché va se révéler plus loin. Elle est aidé en cela par un Danny Boyle pour qui l’esthétique onirique consiste avant tout à filmer de travers, à pousser le contraste dans ses derniers retranchements et à sur-monter son film. À faire un clip, en somme – les symptômes étaient déjà présents dans 127 heures, mais Trance n’a pas la chance d’avoir la narration linéaire du film précédent : nous voilà perdus.
Trance est donc un film saturé : formellement et narrativement, le réalisateur semble vouloir se laisser aller à tous les excès, prenant l’onirisme de son film comme prétexte et non comme but. Erratique, la filmographie du réalisateur montre qu’il est capable du pire comme du meilleur, la constante étant la franchise absolue avec laquelle il aborde toujours ses sujets. Avec Trance, Danny Boyle peut réclamer l’indulgence, eu égard à l’intensité manifeste de son implication dans le projet – au moins n’est-il pas prétentieux. Hélas, brouillon et chaotique, le film montre que les préoccupations de Boyle sont avant tout formelles, sans souci de les accoler à une narration qui n’est donc pas supportée par la forme. Tout content de nous livrer son puzzle narratif aux images léchées, Danny Boyle navigue entre excès de complication et simplisme navrant, et perd tout le monde, lui compris, dans son propre labyrinthe.