Richard Kuklinski est une figure réelle, tueur œuvrant pour divers clans mafieux au tableau de chasse impressionnant. Décidé à suivre son personnage de ses débuts à sa chute, Ariel Vromen lorgne vers les grandes sagas de gangsters, celles de Brian De Palma en premier lieu (on pense surtout à L’Impasse). L’exécution est appliquée, mais manque du grain de folie qui eût fait toute la différence.
Et c’est d’autant plus paradoxal lorsque l’on considère le personnage : froid et brutal, Kuklinski semble affligé d’un besoin viscéral de tuer, comme tout un chacun serait accroché à la clope ou au chocolat. Pour autant, l’homme ne semble pas dénué de sentiment humain, puisqu’il est un père aimant et responsable. Ariel Vromen dirige Michael Shannon avec emphase : en papa Jekyll, il est détaché et réservé, mais nul ne peut lui faire de reproche quant à sa vie de famille – il pourvoit à leurs besoins avec constance. En flingueur Hyde, il est toujours aussi renfermé, mais le réalisateur fait appel au le charisme bestial et effrayant de Shannon pour construire une figure profondément angoissante. Pour l’acteur subtil de Take Shelter et de Mud, voilà un beau gâchis. Mais le but est atteint par ce casting utilisé de façon caricaturale (dans lequel on compte également Ray Liotta et James Franco, dans des rôles très attendus).
Au diapason de cette direction d’acteurs très premier degré, Ariel Vromen ancre son film dans le tangible, avec une reconstitution soignée : des années 1960 aux années 1980, le monde dans lequel évoluent les personnages est très crédible – ce qui donne l’insigne plaisir de voir passer, fugitivement, un Michael Shannon arborant de féroces rouflaquettes, un pattes d’éph’ et des chaussures à talons compensés, ce qui en soi vaut déjà de voir le film. Cela implique également que le réalisateur ne se facilite pas la tâche : condenser 30 ans en 1h45 n’est pas évident. Ariel Vromen se révèle très malin lorsqu’il s’agit de créer des images qui s’interpellent les unes les autres, de disséminer des indices temporels extrêmement évocateurs, le tout avec efficacité et subtilité. Ajoutez à cela un rythme soutenu et une concentration sur les actions meurtrières de Kuklinski : voilà une mécanique bien huilée.
Mais cette mécanique reste mécanique : rien d’humain ne semble venir troubler le récit prenant de la vie de cette étrange créature qu’était Richard Kuklinski. De ses meurtres, on verra beaucoup – on assistera même avec une fascination horrifiée à sa collaboration avec un autre tueur professionnel, surnommé « Freezy ». Mais rien, vraiment, de ce qui habite cet homme. Son besoin pathologique de tuer est à peine effleuré, et son sens de la dissimulation extraordinaire, complètement occulté. Son ambivalence, enfin, ce qui fait qu’un père de famille honorable puisse en même temps être un monstre homicide, échappe à Ariel Vromen.
Tout préoccupé de filmer son monstre froid, le réalisateur oublie donc de le considérer comme un humain, laissant ainsi de côté son ambiguïté et sa folie. Soigneux et appliqué, Ariel Vromen s’entoure d’un casting luxueux et fonctionnel, et raconte avec efficacité une histoire qui se révèle finalement rebattue : celle du rien-du-tout qui va faire sa vie dans la pègre avant de déchoir. Il oublie hélas en chemin de faire preuve de la passion la plus élémentaire.