On a beau se trouver en salle de presse avec la retransmission de la conférence de ce film, avec sa belle brochette de comédiens (Michael Shannon, Winona Ryder, Ray Liotta…) répondant avec sérieux – quand ce n’est pas d’un air pénétré – aux questions (pas toujours très sérieuses ; à Michael Shannon : « comment avez-vous préparé un tel rôle ? ») des journalistes, on reste bien campé sur l’idée de la complète faillite de The Iceman. Ce biopic based on the true story of Richard Kuklinski doublé d’un thriller semble répondre à un cahier des charges avec autant de servilité que le pire des blockbusters. Le film nous révèle qu’il peut être fort difficile de concilier vie professionnelle et vie familiale, ceci concernant évidemment tout le monde, du boulanger au trader en passant par les professions agricoles et le corps enseignant (malgré les vacances), et bien d’autres. Mais Richard Kuklinski pousse un peu le bouchon, jouant d’une part la carte du way of life américain (mari aimant, père dévoué, vie normée, réussite et ascension sociale), de l’autre celle d’un tueur à gages exécutant ses victimes avec le sang-froid du plus féroce des reptiles – notons toute la richesse polysémique du titre. The Iceman ne raconte pas autre chose que cette existence binaire, avec un entêtement qui forcerait presque l’admiration.
Ce grand écart va-t-il former un étau qui se refermera sur le personnage ? On saute au plafond face à tant d’inventivité, en se demandant où ces scénaristes vont chercher de telles idées. Il serait difficile de faire le tour des écueils de cette saga où le passage du temps occasionne un défilé de variations capillaires et moustachues des plus riches – tiens, Michael Shannon est beaucoup plus roux que je ne pensais (à la conférence de presse sur écran plat, pas dans le film). À part celui de Richard Kuklinski, il n’y a pas d’autres personnages, ceux-ci n’existent pas, à peine en qualité de satellites qui justifient la fin (sacrément gratinée) et les moyens. Michael Shannon est le seul à disposer d’un espace, qu’il occupe avec les immenses qualités qu’on lui connaît, avec une petite tendance à se singer lui-même – mais avec talent. Ariel Vromen prend le parti du « style avant tout », mais à force de vouloir en avoir, du style, le résultat est de ne pas en avoir du tout. The Iceman ne dégage jamais la moindre singularité du côté d’une réalisation qui se voudrait tellement virtuose et efficace (en retrouvant la verve du cinéma de genre des seventies) ; elle n’est qu’assommante et clinquante. À l’arrivée, le destin singulier de ce common man sanguinaire n’est absolument pas questionné… Il a droit à sa petite photo au début du générique de fin, on apprend même, la gorge nouée, qu’il s’est éteint en prison en 2006.