Après un blockbuster bancal mais curieux (Noé) et un bric-à-brac insauvable (Mother), Aronofsky semble revenir, du moins en apparence, à un semblant de sobriété avec ce film contenu dans l’espace d’un petit appartement et ramassé sur une poignée de jours – les derniers de Charlie, un professeur d’anglais atteint d’obésité morbide. Le seul réel effet spécial, mais de presque tous les plans, c’est ce corps gigantesque dans lequel se glisse le revenant Brendan Fraser, selon une logique qui n’est pas sans rappeler l’argument promotionnel du « comeback » de Mickey Rourke dans The Wrestler. Étonnamment, Aronofsky, pourtant guère réputé pour faire dans la dentelle, s’attarde assez peu sur la dimension la plus glauque de son récit : les bouffes pantagruéliques du colosse brisé, qui s’empiffre pour mieux se tuer à petit feu.
C’est que le cinéaste envisage ce corps avant tout comme l’incarnation d’une dualité entre la surface et la profondeur (l’enveloppe et l’âme, pour faire vite), le scabreux et la poésie. Charlie sermonne d’ailleurs les élèves du cours qu’il donne à distance : l’important, ce n’est au fond pas le style, mais « l’honnêteté » de ce qu’ils ont à dire. Drôle de morale esthétique, d’autant plus pour un réalisateur tel qu’Aronofsky, dont la débauche d’effets et le trop-plein sont les moteurs. Il faut attendre le générique de fin pour que se confirme surtout une hypothèse nourrie par la part verbeuse du film et les mouvements des acteurs, trop artificiellement chorégraphiés pour être « honnêtes » : The Whale n’est pas seulement un huis clos, mais l’adaptation d’une pièce montée en 2012 à New York. Dépouillé de ses oripeaux numériques, le cinéma d’Aronofsky fait alors sienne une conception de l’épure discutable, moins visuellement surchargée mais tout aussi maniérée : celle du mauvais théâtre.