Jeune cinéaste aux aspirations de vieux sage, Darren Aronofsky signe son troisième long métrage en compagnie de sa petite amie Rachel Weisz. Poème ou conte cinématographique légèrement alambiqué (notons qu’il fut hué au festival de Venise), The Fountain se vautre dans une combinaison faite de choix narratifs prétentieux et d’effets visuels appauvris. Pourtant une certaine mélancolie parvient à s’échapper du film.
Au départ, Brad Pitt et Cate Blanchett étaient rattachés au projet mais, pour certaines raisons, s’en sont désengagés au profit du moins risqué Babel. Inutile d’expliquer en quoi le désistement de l’un des acteurs les plus bankable d’Hollywood a pu causer à Aronofsky quelques soucis financiers, assez en tout cas pour l’avoir retardé d’au moins trois ans dans la production. C’est donc le très polyvalent Hugh Jackman qui va la faire redémarrer.
Ce dernier incarne Tom Creo, un scientifique qui tente de trouver un remède pour sa femme Izzy (Weisz), atteinte d’une tumeur au cerveau. Celle-ci occupe ses derniers jours en écrivant The Fountain, l’histoire du conquistador Tomas (encore Jackman) et de la reine Isabel (toujours Weisz) partis à la recherche de l’arbre de vie qui leur permettra d’accéder à l’immortalité. Une troisième époque (le XXVIe siècle) vient finir de confondre la trame : un Tom adepte du yoga parcourt le cosmos dans un vaisseau écosphérique en compagnie d’un arbre somptueux (sa femme…).
Les amateurs de Pi et de Requiem for a Dream vont sûrement peiner à reconnaître la touche d’Aronofsky. Car ici, les séquences tournées à la SnorriCam (sorte de Steadicam accrochée face à l’acteur) et le montage dit « hip hop » (association de plans accélérés et d’effets sonores) ont été supplantés par une composition symétrique du cadre et une surexposition qui, par moments, rend presque malade. Bien que la structure semble incohérente, le réalisateur aurait choisi une forme géométrique pour visualiser chaque période : le triangle au XVIe siècle (le temple maya, l’arbre de vie), le rectangle au XXIe (ère de l’écran ?) et la sphère dans le futur. Dommage qu’il n’y ait qu’Aronofsky pour s’extasier devant ses propres fulgurances, ses « éclairs de génie » qui lui valent l’appellation de nouveau Kubrick à la Warner (!). Si sa vision se résume à établir une comparaison entre les recherches médicales et la quête mythique, cela ne renouvelle pas pour autant l’idée que la science est au monde moderne ce que les croisades et conquêtes espagnoles étaient respectivement au Moyen Age et à la Renaissance.
Il faut reconnaître tout de même que le film travaille la mémoire et la perte d’une façon originale. La mort imminente d’Izzy vient déclencher une suractivité du cerveau de Tom qui plonge dans le monde idéal du souvenir. Les flash-backs en plans subjectifs (Izzy courant dans l’appartement, joyeuse et inaccessible) sont alors autant de tentatives de délivrer intactes des images piochées dans la tête du futur veuf. L’être aimé s’imprime dans la rétine, puis se propage doucement dans le corps et l’esprit, pareil aux prises de drogues de Requiem for a Dream. Le talent d’Aronofsky, c’est donc surtout d’avoir compris à quel point le cinéma est un art morbide et d’oser filmer son Isabel comme si c’était la dernière fois.