Alors qu’il vient de perdre sa mère, la douce amertume qui se terre sous les traits de Jimmy, flic légèrement benêt et carrément maladroit, rejaillit sur l’audience funéraire qui assiste, tant bien que mal, à ses improbables bafouilles. Mais là où les proches se recueillent calmement sous le toit de l’église, Jimmy se met à danser au rythme de « Thunder Road » de Bruce Springsteen, sans que l’on entende le son du fameux morceau, la faute au mauvais fonctionnement de la petite chaîne hi-fi rose-bonbon que Jimmy avait apporté pour l’occasion. Cette première scène, a priori aussi drôle que pathétique, filmée en un quasi plan-séquence, aura au moins le mérite de donner le la d’un film construit autour de morceaux de bravoure comme celui-ci. Le modèle du plan long, censé mettre en valeur les transitions du comique au tragique opérées par son auteur-interprète (« en un seul et même plan !»), est ici récurrent voir systématique, comme si ce bréviaire de cinéma de festival avait besoin de se doper de temps à autre à la performance pour sortir du lot.
Il faut dire que Thunder Road – qui vient de remporter le Grand Prix du Festival de Deauville – dresse autant le portrait bourré d’humanité d’un flic moyen qu’il cherche volontairement à épater la galerie, écartelant le film entre deux gestes de cinéma contradictoires, ici mélangés au sein d’un cocktail assez déconcertant. En nous dévoilant par la performance systématique ses fêlures intimes, Jim Cummings semble avoir paradoxalement voulu se mettre à nu tout en bandant les muscles, assumant ses faiblesses pour mieux nous imposer ensuite ses coups de force stéroïdés. Cette contradiction rejoint l’idée de la « masculinité toxique » dont le film est un véritable exposé. Avec Thunder Road, Cummings fait, certes, l’apologie de la confession intime et du dialogue masculin (qui fait défaut aux caractéristiques de la « masculinité » traditionnelle), mais y procède par l’entremise d’une mise en scène de soi, fondant son précis d’humilité sur une démonstration d’égocentrisme créatif, où tous les pans d’un même film ne sont là que pour mettre en exergue sa propre figure de cabotin, avide de regards, d’applaudissements ou, plus secrètement, d’attention.
One man show
Et si Cummings semble s’être jeté corps et âme dans Thunder Road, au risque de créer un film aussi fougueux que prétentieux, bouffi par ses propres ambitions, il est au moins possible de déceler une certaine cohérence dans cette confrontation entre l’intime et la gesticulation. Au-delà de la performance à tout prix à laquelle il s’adonne (quand il s’amuse à passer du pitoyable à la bravoure, du calme à la violence, et ainsi de suite), celui-ci aura trouvé dans le personnage de Jimmy un avatar incarnant ses propres contradictions : un homme sensible cachant son inavouable délicatesse derrière des sur-couches de virilité. Victime de sa construction sociale, Jimmy – comme Jim – compense son manque d’affection et son impossibilité à se confier « à cœur ouvert » en jouant la comédie, changeant de masque au gré des situations et des problèmes qui s’annoncent (tour à tour le décès d’une mère, le divorce avec son ex-femme, son limogeage imminent, la perte de sa fille qu’il chérit plus que tout). Rien de bien révolutionnaire ou de neuf en cela mais c’est ce qu’il y a d’assez beau dans ces transitions, au départ agaçantes, de l’empathie à la colère ou de l’émotion à la violence. Elles permettent de faire dévier le film d’une irritante exposition performative vers son propre enfermement, dans une prison où le réalisateur se retrouve face à son personnage : son expression personnelle est guidée selon le besoin de « s’imposer » au monde par la force. Ce même besoin qui pousse des amis à se battre quand ils n’arrivent plus à se parler ou celui qui incite, de façon plus insidieuse mais in fine bien visible à l’écran, des cinéastes à vouloir exhiber leurs talents là où rien ne justifiait au départ un tel étalage.