On s’attendait à une sempiternelle confrontation de la misère ou des urgences sociales avec la caméra tremblante d’un prétendant au remplacement des frères Dardenne. Et on s’est trompé. Bien loin des regrettables Enragés, Robert Thalheim revendique une utilisation originale du numérique, posée dans ses mouvements, ne rejetant ni le comique ni la pudeur.
Il semble loin, devant Tout ira bien, le temps de l’image systématiquement tremblante pour faire ressentir une proximité documentaire, et le temps des personnages trop tranchés, trop caricaturaux parfois. Robert Thalheim a choisi pour son premier long-métrage de fiction une histoire simple, des personnages moins simples qu’il n’y paraît… et une douceur, une finesse qui montre que la pesanteur parfois hystérique d’un rock un peu violent ne souligne pas forcément intelligemment une violence sociale existante. Et que cette même violence sociale peut apparaître sans une image coup de poing. Car la force de ce film se situe bien dans ce qu’il montre, dénonce parfois et construit progressivement.
Marcel est alcoolique et fanatique de country allemande, du « Johnny Cash de la RDA » nommé Peter Tschernig : il pense que « la sécurité est un sujet d’avenir » (et toc!), et décide de monter une société de caméra de surveillance et de gorilles, après une agence de voyage, et un ratage de plus. Il est dans l’entre-deux constant, enfermé dans un discours optimiste teinté de réalisme : entre l’enthousiasme et la déprime, entre le désir de reconnaissance et le désir d’indépendance, entre l’amour de son fils et l’habitude de la solitude. Sebastian, justement, a quinze ans (né donc en 1989, année de la chute du Mur) ; il réussit ses études et doit déménager en banlieue, ostracisme qu’il refuse catégoriquement en se rendant chez un père qu’il n’a jamais, ou presque, connu. Il est tout l’inverse de son géniteur : il a la vie devant lui, il ne comprend pas le fossé culturel qui sépare la génération moderne et celle qui a vécu la RDA.
La finesse de Tout ira bien est, d’une part, de ne pas copier Good Bye Lenin : la nostalgie n’existe que par touches dans le personnage de Marcel. Ce dernier est aussi tourné vers l’avenir, grâce à la présence de son fils notamment, mais également grâce à sa propension au rêve, à la poursuite d’un idéal. La page n’est pas tout à fait tournée, mais on y vient. D’autre part, ce premier film, sans rechigner à montrer des aspects du quotidien (une cuite de Marcel notamment, et des disputes d’incompréhension entre Marcel et Sebastian), ne souligne jamais le laid, le choquant, ou le brutal. Il n’édulcore rien, reste direct, mais choisit toujours la discrétion des scènes suggérées pour montrer un état politique parfois déplorable. Et en profite aussi pour parsemer son tableau de détails cocasses dans les dialogues (on apprend par exemple que 30% des attentats sont des attaques par alimentation empoisonnée), et de moments de légèreté lors de balades nocturnes ou de tête-à-têtes poétiques.
La recette de Robert Thalheim est peut-être celle de la fiction qui n’a pas honte d’elle-même : ses personnages sont inventés s’ils sont réalistes, sa caméra ne rechigne pas à sublimer quelques moments, dont une scène de fin lunaire, féérique, et à utiliser toutes les possibilités dramatiques (comiques, intimes, tragiques…) de son histoire et de ses protagonistes. Le jeune réalisateur n’a pas hésité non plus à proposer son premier rôle (sans cachet) à un acteur fort respecté outre-Rhin, Milan Peschel, membre de la Comédie-Française berlinoise, et le rôle de Sebastian à un comédien en herbe, le délicat Sebastian Butz. Le pari financier et cinématographique était risqué, parce que le sujet semble limpide, parce qu’on ne touche pas si aisément aujourd’hui au sacro-saint drame social. Mine de rien, Robert Thalheim, avec ses quadragénaires torturés et émouvants, et sa jeune garde un peu paumée, insuffle une fraîcheur au genre, n’en déplaise aux accros des fictions documentaires branchées.