Dans un pays où la comédie populaire a pour premier moteur l’épineuse question du vivre-ensemble et du « grand partage », le film de Jean-Pascal Zadi et de John Wax a, sur le papier, tout pour intriguer. Zadi y joue son propre rôle dans un mockumentary retraçant ses démarches pour organiser une « marche noire », ce qui, naturellement, soulève quelques questions : qu’est-ce que c’est, au fond, « être noir » ? Les Blancs peuvent-ils se joindre à la manifestation ? Et les Arabes ? Et les Juifs ? Quid de l’intersectionnalité (pour insister trop lourdement sur le sort de « l’homme noir », Zadi se fait reprendre de volée par des militantes afroféministes) ? À ces questions s’ajoute celle, centrale, de l’implantation en France d’initiatives et de réflexions nées aux États-Unis. Le film rend ainsi compte indirectement de l’entrechoc de deux cultures distinctes : d’un côté le modèle anglo-saxon, où la constitution d’une communauté noire s’est faite en réponse à un racisme étatique bien identifiable, et de l’autre l’intégration à la française, où l’immigré doit aspirer à être un Français comme un autre, au risque de se faire cataloguer, insulte suprême, de « communautariste », ce mot utilisé aujourd’hui à tort et à travers et qui suscite dans le débat d’idées une névrose croissante. L’intérêt du film est, en quelque sorte, de tenir ce grand écart entre les États-Unis et la France (il est à ce titre tout à fait parlant que Zadi soit dans le film jaloux et excédé par Omar Sy, personnalité préférée des Français, bien qu’il réside à Los Angeles), d’abord et avant tout dans son humour.
À la comédie américaine, il emprunte le goût de la guest-star, le flou entre la fiction et le réel, mais aussi une forme de sadomasochisme qui fait de Zadi, tout comme Éric Judor, l’un des acteurs du film, un cousin américain de Larry David. Du rire français, il conserve une forme de causticité nourrie par des rivalités ethniques toujours latentes, osant pousser loin certains gags qui seraient aujourd’hui difficilement imaginables de l’autre côté de l’Atlantique. Ainsi de la dispute entre Fabrice Éboué et Lucien Jean-Baptiste, où le crescendo comique conduit ce dernier à basculer dans une forme de frénésie tribale on ne peut plus caricaturale – le film n’efface pas les différences, mais au contraire les exacerbe jusqu’à l’emphase. La scène fait même écho, sur un mode comique, au dénouement de Dheepan lorsque l’acteur, en embuscade, s’attaque à Zadi et Éboué avec une machette sortie d’on ne sait où – à l’instar de l’arme du héros du film de Jacques Audiard, elle apparaît comme la résurgence symbolique d’un cliché colonial, celui du guerrier sauvage, le barbare, qui vit en dehors de la civilisation (nécessairement blanche). Ce faisant, le film gravite plutôt habilement, il faut le dire, autour de représentations racistes, pour mesurer l’écart entre un point A (la voix posée et douce de Lucien Jean-Baptiste, acteur de comédies populaires consensuelles) et un point B (le sauvage vociférant, incompréhensible et assoiffé de sang). Ce principe, tout en étant un vecteur comique, désamorce surtout le risque d’une vision unificatrice, au point que l’on se demande bien qui pourrait trouver objectivement le film « communautariste », tant il recense différentes approches et conceptualisations d’une « identité noire », et déconstruit franchement la perspective d’une communauté unie et soudée.
Trous d’air
Le film n’est cependant pas sans faiblesses. D’abord, sur le terrain du « discours », ou disons de la réflexion qu’il creuse souterrainement sur l’ensemble des questions précédemment évoquées, force est de constater que le scénario ménage une complexité de surface par sa manière de toujours nuancer la tonalité de chaque scène, y compris de manière parfois un peu schématique. En témoigne ce segment où Zadi, après avoir entendu une afroféministe s’insurger contre le fait que les Noirs riches épousent toujours des blanches, voit cette dernière embrasser son conjoint pâle comme un cachet. Ensuite, d’un point de vue strictement comique, Tout simplement noir se révèle malheureusement assez inégal, la faute à sa forme de film à sketchs où brillent certains bouts (outre le segment évoqué plus haut, citons aussi ceux centrés sur Éric Judor et Matthieu Kassovitz), quand d’autres, plus attendus ou mal menés, déçoivent un peu (la scène avec Omar Sy et le gag sur Dieudonné). Surtout, le film tire peu de choses du portrait de son acteur : la mise à nu de Zadi intéresse moins que ses mésaventures, pour la simple et bonne raison que sa bêtise, par endroits désopilante, désamorce la perspective d’une gêne et d’un embarras au fondement de Larry et son nombril et de Platane de Judor, fictions cousines auxquelles il est difficile de ne pas penser. Ni honte ni malaise quand le personnage est pris en défaut, ce que l’on peut un brin regretter, tant le dispositif avait le potentiel de nourrir un comique plus acide. Le vrai cœur humoristique, ce sont donc les rencontres avec les différentes célébrités de la « communauté », matière à des performances d’acteurs différents à chaque séquence ou presque. Indéniablement, le film souffre de cet éclatement en étant trop tributaire du talent de ses vedettes, pas toutes au même niveau. Reste cette fin où, avant un épilogue optimiste et rassembleur, se joue la seule scène explorant pleinement les possibilités du parti-pris de la caméra embarquée, quand le mockumentary se voit parasité par le spectacle de violences policières. C’est là, dans cet entre-deux ménagé par la forme, que le film trouble enfin un peu et vise tout à fait juste.