Librement adapté du roman D’autres vies que la mienne d’Emmanuel Carrère, Philippe Lioret tente de reproduire la formule à succès de Welcome, qui avait réussi à générer un débat utile au sein de notre pays, en proposant un nouveau film estampillé « pourfendeur des travers du monde moderne ». Après les injustices de la politique d’immigration française, ce sont donc les abus des sociétés de crédit qui sont ici fustigés, pour un résultat bien moins heureux et honorable.
Depuis Welcome, certains avaient bien vite fait de cataloguer Philippe Lioret comme agitateur de conscience, ce qui faisait beaucoup pour un seul homme et un seul film. Du côté du Landerneau cinématographique, il est devenu aux yeux de beaucoup un « réalisateur à sujet » et ce, pour le meilleur et pour le pire. Le pire, c’est l’évidence d’un refus de toute recherche formelle et stylistique qui puisse s’adapter à ce sujet, le meilleur étant la qualité d’intégrité de la démarche. Cette honnêteté affichée du propos suffisait à pallier certains manques, dans un souci réaliste et un ancrage quotidien qui permettaient de gommer au mieux quelques envolées misérabilistes.
Avec Toutes nos envies, le sujet du surendettement se présente au premier abord sous la forme d’un combat au sein de la justice française (doublement incarnée par Marie Gillain et Vincent Lindon), et d’une lutte plus intime pour la décence et la solidarité. Deux trajectoires se tissent : l’une, assez générale, où il s’agit de comprendre comment la justice peut réussir à trancher en faveur des plus démunis dans ce genre d’affaire, et une autre plus personnelle où l’on tente de porter assistance à une mère et ses deux enfants qui risquent de se trouver sans logis suite à une procédure de ce type. La dialectique est clairement (lourdement ?) posée, mais doit être acceptée en tant que tel dans le cinéma de Lioret, pour peu qu’elle puisse proposer matière à débat. Welcome déployait un stratagème mené avec franchise, qui transitait par le récit d’une entraide désintéressée pour décrire une guerre contre les préjugés et l’absurdité de la répression étatique, et ainsi toucher à l’indignation du spectateur. En somme, la « petite » histoire, nécessaire pour ses vertus d’identification, servait le « grand » sujet et ses élans humanistes.
C’est ici tout l’inverse qui se produit. Non seulement la description d’une réalité précaire passe par une vulgarisation très explicative (« La consommation, c’est le système » clame le personnage de Vincent Lindon) et des métaphores téléphonées (éloge du rugby comme précepte de vie : « L’engagement et l’émotion »), mais la pataude mécanique répétitive du scénario créée une distance qui peine à rendre compte de la gravité des situations. Plus épineux encore, lorsque le parcours de Claire (Marie Gillain) vient progressivement phagocyter le récit sociétal, développant un suspense lourdingue quant à la révélation de la tumeur au cerveau dont elle est atteinte à son mari. Le film se transforme alors en un chemin de croix interminable pour Claire, coincée entre son implication émotionnelle dans le jugement d’une affaire impliquant un parent d’élève de l’école de sa fille et les déboires d’une mère financièrement irresponsable, comme autant de raccourcis scénaristiques qui restent en travers de la gorge. Pourquoi traiter le combat contre la maladie, thème cent fois rebattu, au devant de questions sociales passionnantes, qui figurent les avancées et reculées de nos sociétés dites « civilisées » ? Pour véhiculer une allégorie éculée : les inégalités produites par tout un système financier sont une tumeur qui se répand dans toutes les strates de l’humain.
Le film ne s’en relèvera pas, et poursuivra ce petit travail de sape jusque dans sa représentation des personnes en difficultés financières. Toutes nos envies manque singulièrement d’esprit de révolte et traduit avec docilité une soumission caricaturale : les pauvres gens ont le sourire et la douceur pour eux, et attendent avec une certaine fatalité le verdict qui leur est réservé. Il y a plus ici matière à désespérer qu’à débattre. Surtout lorsque Lioret va jusqu’à énoncer insidieusement l’irréparable : si les pauvres cherchent à se sortir de la spirale de l’endettement, c’est qu’ils n’aspirent qu’à accéder à un confort matérialiste et à se parfumer avec du Guerlain, comme les riches.