Après le remarqué L.I.E., Michael Cuesta revient à la réalisation avec un nouveau film attendu et présenté cette année à Deauville et Édimbourg. À partir d’un scénario d’une grande justesse et d’acteurs tous excellents, il esquisse le passage délicat d’un groupe d’enfants à l’adolescence. Même si la réalisation reste très classique, le film arrive à distiller une émotion forte à travers le destin tragi-comique de ses personnages.
Tout commence par le drame, une querelle d’enfants qui vire au cauchemar. Le jeune Rudy meurt accidentellement après un règlement de compte qui tourne mal. Son frère jumeau Jacob et ses deux amis Malee et Leonard quittent alors brutalement le monde de l’enfance. Pour eux, il est maintenant temps de se poser de nouvelles questions, de commencer à composer avec la sexualité, le regard des autres, la vengeance, tandis que se redessinent les liens qui les unissent à leurs parents.
Les cinéastes américains ne semblent pas se lasser de scruter l’adolescence. Cela fait maintenant cinquante ans, depuis La Fureur de vivre de Nicholas Ray, que le regard porté sur cet âge délicat fascine et interroge. Des teenage movies aux films de Gus Van Sant, les années 1990 et 2000 verront le phénomène se généraliser à travers des approches pour le moins nettement différentes. De la revendication politique et sexuelle aux purs objets de consommation, les ados sont au cœur de la création cinématographique, aussi bien en tant que sujets que comme spectateurs principaux de produits leur étant destinés. Il faut dire que cet âge flottant et extrême fournit une multitude d’analyses et de représentations, permettant aussi bien de filmer l’enfance et sa part sombre (et questionner par ce biais la société et sa confusion) que des comédies grand public.
Michael Cuesta est de ces cinéastes qui semblent totalement absorbés par cette période de l’existence. Son premier film L.I.E en témoignait, et Twelve and Holding confirme cette thématique. Ce que l’on peut dire en tout premier lieu, c’est qu’il ne révolutionne pas le « genre ». Son film ne fera pas non plus date comme l’un des plus beaux sur la question. Les sujets qu’il brasse ont déjà été vus et sont connus, et il manque à la mise en scène une certaine ampleur. Son classicisme n’est pas suffisamment rigoureux pour être totalement réussi et apparaît plutôt comme une mise en image assez anodine. Malgré cela, Michael Cuesta arrive à ne pas surjouer la dramatisation d’une histoire déjà bien chargée dans le trouble et se permet même quelques touches d’humour bienvenues.
L’émotion qui se dégage avant tout du propos, et qui est la première qualité du film, tient à plusieurs facteurs. D’une part, il faut rendre hommage au scénario de Anthony S. Cipriano : à partir de trames narratives assez éculées — comment se reconstruire après la mort d’un proche — il arrive à créer des personnages d’une finesse et d’une complexité rare. Tous sont très bien écrits, ils existent pleinement car ils sont traités avec une humanité et une compassion qui font du film un mélodrame digne plus qu’une réelle étude de mœurs. Chaque caractère est traité avec une grande justesse et la façon dont les personnages évoluent ou se débattent avec leurs histoires permet de nous y attacher pleinement. Les parents, souvent dépeints dans ce genre de films de façon caricaturale (voir le traitement grotesque qui leur était réservé dans Ken Park de Larry Clark), ont ici la richesse de véritables personnages, permettant alors de saisir pleinement le fait qu’une adolescence se construit surtout avec ses parents. Car ils sont aussi le cœur du propos du film. Si leurs enfants rentrent dans l’adolescence, eux ne paraissent pas vraiment en être sortis. Ce qui les rend totalement sourds au désarroi de leurs progénitures, car eux aussi se débattent dans leurs problèmes intérieurs. Ils n’arrivent pas à comprendre qu’ils changent et sont eux-mêmes figés dans des situations qui les dépassent.
Dans la disposition familiale décrite dans le film prime la place de la mère. Des trois destins d’enfants qui nous sont montrés, c’est la mère qui donne le « la » de la situation de la maison, celle avec qui il y a le plus de problèmes et de non dits, mais aussi la plus influente et la plus proche. C’est elle qui insuffle le désir de vengeance au jeune Jacob, elle qui fait honte à Leonard à cause de sa boulimie, elle qui donne envie à Malee de s’échapper d’elle-même aussi brutalement. Les pères sont plus absents, soit physiquement pour Malee, soit en retrait face à leur femme et surtout leurs enfants, auxquels ils semblent n’avoir rien à transmettre.
Les acteurs, aussi bien enfants qu’adultes, donnent une épaisseur remarquable à ces personnages qui finalement ne font, chacun à des âges différents, que frôler l’adolescence. L’adolescence c’est le creux, l’état de la confusion et des possibles, une « petite guerre du Vietnam intérieure » comme le dit Cuesta, et à laquelle il rend un vibrant hommage.