Avec Collision l’année dernière, Deauville commettait le premier faux pas d’une longue série de palmarès non-conformiste qui, de Ça tourne à Manhattan à Keane, offrait un autre regard sur le cinéma US. Retrouver la flamme des premiers temps importe pour le festival, qui bénéficie cette année d’une sélection qui fait figure de retour aux sources.
Les contes de fées fourmillent de récits de villes disparaissant au gré des saisons. Il en est ainsi de Deauville : arrivée la fin de septembre, la cité se change en un no man’s land, réservé à une élite immobilière dont les demeures cossues couvrent le front de mer, là où les hordes de juillettistes et d’aoûtiens prenaient d’assaut, il y a quelques jours à peine, les plages. Arrivé le mois de septembre, la seule irrégularité reste le Centre International de Deauville, escarboucle gigantesque, qui attire force cinéphiles, professionnels de la profession, journalistes, quelques rares autochtones désœuvrés… et vos serviteurs. L’évènement est d’importance, comme l’atteste la couverture publicitaire sur les murs locaux, et ce bien que la population locale et ses bichons enrubannés vous toisent avec un mépris affiché : la sélection du festival représente un cinéma qui n’aurait pas les honneurs de la distribution mainstream des blockbusters d’outre-Atlantique, et donne sa chance aux premiers et seconds films de réalisateurs américains. Entre les sulfureux Hard Candy et Stephanie Daley ou le candide Little Miss Sunshine se glissent les prometteurs Thank You for Smoking – sorte de réquisitoire à la Moore, pour le pire ou le meilleur – SherryBaby, avec une Maggie Gyllenhaal méconnaissable, Forgiven, ou encore Twelve and Holding. Parmi les toutes premières projections du festival, le malheureusement convenu World Trade Center d’Oliver Stone pourrait donner le ton d’une manifestation à la gloire d’une certaine Amérique exempte de doute. De doute, il est pourtant fortement question dans les films sélectionnés, comme dans les hommages rendus à Sidney Pollack et au Sundance Festival, preuve que le cinéma des États-Unis sait encore – et c’est heureux – se remettre en question.
Lundi 4 septembre, premier jour de diffusion des films de la sélection
Alors que le festival a ouvert ses portes depuis déjà deux jours, la diffusion de la sélection officielle commence avec la semaine. Avant-premières et projections hommages ont émaillés les deux premiers jours, avec en point d’orgue la première diffusion du World Trade Center d’Oliver Stone et la projection du Black Dahlia de Brian De Palma.
À peine retombée la poussière autour des ruines de Ground Zero, Hollywood se posait déjà la question morale d’utiliser ou non la tragédie du 11-Septembre au cinéma : y a-t-il un devoir de pudeur, une date de prescription qui permette d’aborder décemment le sujet au cinéma ? La question est d’un intérêt universel, alors que le cinéma colle toujours plus près et toujours plus vite à l’actualité. Malheureusement pour le débat en lui-même, la question a été vidée de son sens par la sortie au cinéma de 11 09 01, dont la forme – l’exercice de style sur le thème de la guerre en général – invalidait la polémique. Les regards différaient tellement dans ce film à sketches que trouver une seule idée à vilipender eût été impossible. Reste que la question de la représentation de la tragédie elle-même persistait. Paul Greengrass s’y est attaqué, de biais lui aussi, dans son Vol 93, consacré à celui des avions qui n’a pas atteint son objectif. Hollywood et le cinéma en général tournaient encore autour de la question, et c’est finalement le cinéaste prompt à la polémique Oliver Stone qui s’y attaque avec World Trade Center. Comme toujours avec le réalisateur de Platoon et d’Alexandre, le pire comme le meilleur pouvaient être à attendre. En l’occurrence, hélas, Stone se fait le chien de garde d’une Amérique des élites, surpuissante, bien pensante, à peine égratignée par l’impact de la tragédie des deux tours, légitimant par là même toutes les craintes que l’on pouvait nourrir sur le sujet du 11-Septembre. Dans la forme comme sur le fond, l’académisme est de mise. Reste que toute une partie du film, montrant des hommes normaux, et peut-être juste un tout petit peu trop sûrs d’eux, aux prises avec l’inimaginable, reste touchante, et troublante de véracité. Le grand regret vient avant tout d’une dramatisation excessive des évènements, et d’un sous discours terriblement impérialiste, qui veut légitimer l’image que les États-Unis veulent avoir d’eux-mêmes, surpuissance prompte à juger et à condamner sans manifester ni doutes ni scrupules. Bien sombre était le ciel à la sortie de la séance au-dessus de la station balnéaire…
Vient ensuite la projection très attendue du Black Dahlia. Parce que c’est un époustouflant roman de James Ellroy, et parce qu’on sait De Palma solide pour mettre en scène les années 1930-40 (Les Incorruptibles), on pouvait espérer un grand film. Hélas, on découvre avec perplexité une image soignée mais sans atmosphère, un récit intrigant qui devient confus et prétexte à de longs dialogues explicatifs (car, rappelons-le, le spectateur est idiot), et des acteurs qui, subtils à leur habitude (Aaron Eckhart, Scarlett Johansson), deviennent caricaturaux et sans profondeur. Sans parler d’une musique étouffante et lourde de sous-entendus (ici c’est romantique, là dramatique). La rapidité du montage ne laisse aucune place à l’ambiance ambiguë et complexe du roman. L’attachement aux personnages est rendu inexistant par un enchaînement froid de situations : puisque l’histoire continue sans les spectateurs, pourquoi s’inquiéteraient-ils de leur sort ? Il serait intéressant de creuser les questions qui naissent en sortant du film, mais on se contentera de deux conseils : (re)lire Le Dahlia Noir, et (re)voir L.A. Confidential. Car Curtis Hanson avait eu la brillante idée de travailler sur une adaptation solide, de créer une atmosphère envoûtante, élégante et âpre, et surtout, d’aimer ses personnages.
La semaine de compétition s’est ouverte sur l’étonnant Twelve and Holding, récit adolescent qui se réclame, selon les termes de son réalisateur Michael Cuesta, du Stand by Me de Rob Reiner. Ce dernier film était un récit doux-amer, adapté d’une des nouvelles les plus lisibles de Stephen King, qui montrait quelques jeunes adolescents aux prises avec leur première expérience de la mort. Twelve and Holding serait donc pour son auteur une forme moderne, plus adaptée à notre époque, du film de Reiner. Il pourrait commencer là où prend fin le conte : trois jeunes de 12 ans doivent faire face à la mort accidentelle de l’un d’entre eux, ami proche pour les uns, frère pour un autre. Michael Cuesta a voulu dans ce film donner la parole à une image de l’adolescent volontairement occultée par Hollywood et le cinéma américain en général : un adolescent « gris », par opposition à ceux traditionnellement voulus à l’écran au pays de l’Usine à Rêves. La jeune fille et les deux jeunes hommes du film naviguent entre le bien et le mal, entre le moral et l’instinctif, entre la Justice idéalisée et le renoncement lucide. Servi par une réalisation très travaillée, centrée avant tout sur le détail, qu’il soit physique ou moral, le film tient avant tout sur les épaules de ses comédiens. « 90% de votre travail est fait lorsque vous faites un bon casting », note Cuesta : son rôle se limite selon lui à mettre à l’aise ses comédiens, à faire en sorte qu’ils soient avant tout eux-mêmes à l’écran, à ce qu’ils vivent leurs rôles. Ainsi, ce sont les jeunes comédiens eux-mêmes qui ont avoué au réalisateur qu’ils ressentaient quotidiennement ce qu’ils jouaient, et il est indéniable que la sincérité transparaît dans leur jeu. Même si son film est très sombre, Cuesta refuse de le qualifier de pessimiste : « Ce que les spectateurs américains jugent sombre, je le trouve, en l’occurrence, apaisant. » Et de fait, le réalisateur signe avec ce second long métrage un film juste, qui se refuse aux compromissions du film adolescent made in USA, et qui ouvre avec éclat la sélection du festival.
Venir après une telle perle est évidemment difficile, et le second film de la sélection est Little Miss Sunshine, dont les bandes-annonces caviardent déjà les écrans hexagonaux. La méfiance est de mise face à un récit que l’on ressent comme mièvre, enfantin, dans la grande tradition des road-movies familiaux made in USA. Étonnamment, de telles craintes sont complètements erronées : le film aligne avec brio le meilleur de ce que peut offrir la comédie familiale – ce dernier mot étant entendu dans le sens « de la famille », non « pour la famille ». Car l’humour brocarde méchamment les travers d’une société patriarcale et axée autour du culte de la réussite dans le film de Jonathan Dayton et Valerie Faris : en filigrane, c’est une Amérique triomphaliste partisane d’une certaine forme de pensée unique qui est dénoncée. En dehors de la satire politico-sociale, si subtile que l’on peut l’occulter, le film fourmille d’autres trouvailles burlesques. La progression de l’intrigue fait montre d’une maîtrise certaine de l’outil narratif, un professionnalisme étonnant de la part d’un couple de réalisateurs débutants. Les acteurs, Steve Carell en tête, sont très crédibles, leurs personnages habités par le doute et la peur. La mort, le suicide, l’amour déçu, le divorce menacent les adultes ; l’adolescent – interprété par un remarquable Paul Dano – décide de se cloîtrer dans le silence pour exprimer sa perte de repères… Seule la jeune Olive échappe à cette noirceur qui sous tend un film pourtant assez lumineux dans sa mise en scène, et le comique omniprésent use et abuse de ces zones d’ombre d’une façon subtile et légère. Si elle ne désamorce pas le drame, cette option narrative fait de Little Miss Sunshine un film plus subtil qu’il n’y paraît, et d’une exquise drôlerie. Si le film n’atteint pas les sommets de Twelve and Holding, il reste un très respectable représentant d’une comédie américaine qui n’est pas dupe de ses propres doutes.
Mardi 3 septembre, second jour de la sélection
Ce serait peu dire qu’après les splendides 12 and Holding et Little Miss Sunshine, la suite de la sélection était attendue avec impatience. Little Children et A Guide to Recognizing your Saints continuaient la liste.
En première projection, Little Children est une immense déception. Avec Kate Winslet et Patrick Wilson en têtes d’affiche, le film part sur un potentiel intéressant : Kate Winslet campe Sarah Pierce, une jeune mère exaspérée par sa petite fille, et qui ne parvient manifestement pas à s’intégrer au groupe des commères réunies au jardin d’enfants. Ces dernières fantasment outrageusement sur « the Prom King » (joué par Patrick Wilson), un père qui vient jouer avec son fils dans ce même jardin. Sur une bravade, Sarah se retrouve à embrasser l’inconnu devant les rombières outragées. Dès lors, sa vie bascule. Le film pourrait être un portrait au vitriol de la classe moyenne banlieusarde américaine. Sarah, que l’on peut comparer – pour faire court – à madame Bovary, rêve d’un futur où elle et son prince charmant quittent l’affreuse routine dans laquelle ils vivent. Hélas, passé les premières minutes plutôt prometteuses, le film quitte la voie empruntée par le sulfureux et brillant American Beauty pour sombrer dans un quotidien ennuyeux, rythmé par des conflits moraux à peine survolés (un flic ne se remet pas d’avoir tué un gamin, un exhibitionniste essaye tant bien que mal de se réinsérer…). Pour couronner le tout, une voix off omniprésente guide le spectateur tout le film durant, transformant l’image vue à l’écran en simple illustration d’un récit lu au spectateur. Pesant, lourd, presque anti-cinématographique, Little Children n’évoque finalement qu’une seule émotion : le regret de voir Kate Winslet se fourvoyer dans un personnage simpliste et surécrit.
A Guide to Recognizing Your Saints relève d’une toute autre approche de la narration cinématographique. Il est adapté d’un roman autobiographique par l’auteur de l’œuvre, Dito Montiel, qui signe là son premier film. A Guide… raconte l’histoire d’un été dans le quartier d’Astoria, au milieu des années 1980. Dito, le personnage fictionnel mais très inspiré du réalisateur, revient sur les lieux 15 ans après avoir quitté le quartier contre l’avis de tous, abandonnant famille et amis. Lors de ce retour, chaque coin de rue lui inspire des réminiscences sur certaines anecdotes survenues l’été de son départ, et qui ont fini par légitimer celui-ci. Dans la forme, rien de bien neuf – et ce, bien que Montiel dans son livre fasse montre d’un style assez séduisant et déstructuré. Reste que le casting, avec Robert Downey Jr et Chazz Palminteri en tête, conduit efficacement cette histoire de violence et d’amours naissantes. La réalisation se veut la retranscription du style très délié du roman, et se révèle parfois très difficile à suivre, surtout dans le début d’un récit où l’authenticité voulue prend largement le pas sur la cohérence narrative, au risque de perdre son audience. Mais au fur et à mesure du récit, les anecdotes déliées finissent par pointer vers une direction unique : le désespoir de Dito, interprété dans ses jeunes années par un remarquable Shia LaBeouf. À l’arrachée, ce récit personnel et touchant finit par enlever la mise, et laisse le spectateur avec le sentiment d’avoir vécu une enfance presque comme si elle avait été la sienne.
Une fois passée la sélection, deux autres films complétaient la liste des projections de la journée : Primer de et avec Shane Carruth et Come Early Morning de Joey Lauren Adams. Autant le dire tout de suite, ces deux films, présentés hors compétition, dament aisément le pion aux deux précédents.
Primer est un récit extrêmement confus, sur un groupe de scientifiques travaillant à leur compte et sur leurs deniers à une machine destinée à réduire le poids des objets. Par un hasard assez incompréhensible – la première partie du film tient du cours théorique de physique de haut niveau – deux d’entre eux parviennent à mettre au point un système de voyage dans le temps. Conscients des dangers potentiels, ils se limitent à une utilisation très réglementée, afin notamment de ne pas créer de doubles d’eux-mêmes. Mais évidemment, ce qu’ils craignent finit par arriver et les paradoxes temporels surviennent. Ce n’est que le début d’une spirale temporelle vertigineuse. Extrêmement ambitieux, Primer n’est pas sans rappeler Pi de Darren Aronofsky, à la fois dans le scénario et dans la mise en scène. Si les images sont parfois d’une beauté fulgurante, le récit est très bavard, prompt à retomber dans la théorie scientifique, à la manière des nouvelles de SF des années 1950. Et comme ces nouvelles, c’est ce sérieux qui fait tout le charme du film : difficile d’accès, il ne peut pourtant pas ne pas séduire, de par le talent de ses deux interprètes et par l’incongruité assumée de son choix de décor et de mise en scène. Un montage elliptique rend le récit captivant, et pose Shane Carruth (qui assume pratiquement tous les postes sur son film, de réalisateur à compositeur, acteur, scénariste…) comme un futur grand à découvrir dès maintenant.
Come Early Morning termine en douceur et avec talent cette journée de projection. Le film offre à la trop rare Ashley Judd un rôle difficile, à la mesure de son talent. Lucy vit dans une petite ville des USA, partagée entre ses parents qu’elle soutient, sa vie professionnelle qui fonctionne plutôt bien et sa vie sentimentale qui va à vaux l’eau. Chaque soir est le prétexte d’une nouvelle « rencontre », aidée par l’alcool, dans le bar redneck du coin, chaque matin le théâtre d’une nouvelle fuite. Cela continue jusqu’à ce qu’elle rencontre Cal, un homme un peu moins goujat et un peu moins obsédé que les autres. Dans un rôle difficile, Ashley Judd resplendit à l’écran et campe avec délicatesse et une fragilité subtile le rôle d’une femme seule dans une petite ville provinciale des USA. Rempli de seconds rôles remarquables (on retiendra la composition étonnante de finesse du père de l’héroïne par Scott Wilson), le film prend le temps de tisser un quotidien grisâtre où affleurent des petits moments de grâce ou de désespoir. Sans grandiloquence, en procédant par petites touches, ce premier film de la réalisatrice Joey Lauren Adams réussit là où Little Children s’égare dans les poncifs, à dépeindre le portrait d’une femme seule, indépendante, qui souffre, et qui ne s’en sort qu’au prix de sacrifices assumés. Ashley Judd est bien plus Bovary aujourd’hui que ne l’a été Kate Winslet – et elle ne le clame pas sur les toits.
Mercredi 4 septembre, troisième jour de la sélection
L’enfance apparaît comme le pivot central de la sélection de Deauville cette année. Évidemment, avec un tel thème, l’ombre sordide de la pédophilie plane au dessus des films sélectionnés. Thème sociologiquement majeur et d’actualité, la pédophilie se pare également d’une sulfureuse aura sensuelle, réunissant ainsi deux axes tabous du cinéma, et particulièrement du cinéma venu des USA. Abordé avec maladresse et gaucherie dans Little Children, le thème est cette fois central dans Hard Candy de David Slade. Le film met en scène Jeff (Patrick Wilson, déjà pas remarqué du tout pour son interprétation lisse dans Little Children), photographe friqué de Los Angeles, lors de son premier rendez-vous in real life avec la toute jeune Hayley (Ellen Page), après un début de romance par le net. Après l’avoir ramenée chez lui, Jeff se retrouve drogué, attaché et interrogé par Hayley, qui l’accuse de pédophilie. Le moins que l’on puisse dire est que Hard Candy attaque le problème de front, dans la grande tradition des films de vigilante à la Justicier dans la ville. Notre société en est encore à vouloir briser le tabou de la pédophilie, à tâtonner pour y opposer une juste réponse légale. Hard Candy opte purement et simplement pour la torture, morale autant que physique. C’est le grand élément polémique du film, car hélas le plus intéressant (la tortionnaire n’a que 14 ans) est étrangement désamorcé. Non que le rôle soit mal joué par Ellen Page, mais il est sans aucun doute mal écrit. Il est manifestement voulu dans la lignée des grands justiciers psychopathes, tels que le Batman de Tim Burton, le V de V pour Vendetta en BD ou Edmond Dantès. Quiconque contemple les ténèbres finit par attirer sur lui le regard de ces ténèbres, dit la sagesse populaire (et Zarathoustra) : qui peut croire qu’une si jeune fille puisse être tellement sans pitié, sans doute, sans peur ? Quelle puissance eût gagné Hard Candy à dépeindre les angoisses de son héroïne, au moment du passage à l’acte ! Tel quel, le film est certes tendu, choquant, mais il n’aborde la pédophilie que comme un prétexte, et non comme un sujet, à la manière d’un Rose bonbon. Efficace, le film ne suscitera qu’une polémique de surface. Mais peut-être Deauville voudra-t-il s’encanailler et récompenser ce qui n’est somme toute qu’un thriller de grande consommation, avec un léger parfum de scandale.
Half Nelson, le second film de la sélection présenté aujourd’hui, n’aborde certainement pas le sujet de la même manière. Dan Dunne (Ryan Gosling) enseigne l’histoire à sa façon dans un collège d’un quartier défavorisé, s’ingéniant à vouloir inculquer à ses élèves la faculté d’analyse des grands bouleversements de l’Histoire. Parmi ces élèves, Drey (Shareeka Epps) le surprend un soir en train de fumer du crack. Dès lors, une complicité coupable lie les deux, elle désapprouvant sa profonde addiction, lui essayant de la sortir des griffes du dealer qui lui tourne autour pour l’embrigader, comme son frère avant elle. Ni l’un ni l’autre de ces personnages n’obéit aux canons de la probité morale, et ni l’un ni l’autre ne cherche à s’en sortir grâce à des moyens traditionnels. Dans Half Nelson, personne n’est manichéen, à tel point qu’il est épuisant de ne pouvoir clairement identifier un « mauvais personnage ». Comment accabler le personnage du dealer Frank, lorsque le héros est un junkie au dernier degré ? L’Amérique a pris de plein fouet la faillite du modèle libéral, l’échec des idéaux personnels. L’ancienne génération, celle de Dan, refuse de laisser aller son enfance et la part de rêve ; la nouvelle, celle de Drey, n’a pas même le loisir de se laisser aller à espérer en l’avenir. L’Amérique de Half Nelson est comme son héros, coincée dans la prise de lutte du même nom, un blocage dont il est pratiquement impossible de se libérer, et incapable de faire face à la faillite de ses idéaux.
La mise en scène et le montage du film se sortent sans problème des pièges d’une narration à deux axes. Mais avant tout, c’est l’interprétation très touchante de Shareeka Epps et la composition tout simplement phénoménale de Ryan Gosling qui emportent l’adhésion. Sorte de Cercle des poètes disparus désabusé, Half Nelson est une œuvre brillante, lucide, qui rend difficile et élusive une précieuse lumière au bout du tunnel. Tout au plus le film montre t-il le tunnel lui-même, et les premiers pas de la voie qui permet de le traverser. Un choix digne pour un film qui est tout sauf pessimiste, mais dont le courage et la foi dans l’avenir font souffrir.
Jeudi 7 septembre, quatrième jour de la sélection
Cette journée de jeudi s’annonce chargée, avec deux films de la sélection : Forgiven et SherryBaby, et deux films présentés en premières : A Scanner Darkly et le très attendu The Fountain.
Forgiven n’est pas, comme le dit son réalisateur et acteur principal Paul Fitzgerald, un film à message. Bien sûr, il est éminemment politique. Bien sûr, il traite de la peine de mort et de ses dérives. Mais le thème central qui lie les personnages est, toujours d’après les propos du réalisateur, la question d’assumer ou non la responsabilité de ses actes et paroles. Il y a cet homme noir, gracié in extremis, qui lutte contre la triste réalité d’une réhabilitation impossible. Face à lui, un procureur sincère et respecté, qui accepte de se lancer dans la course au Sénat. Seulement voilà, l’homme gracié avait été condamné par ce même procureur… Le procureur va-t-il reconnaître son erreur ? Va-t-il considérer à considérer le condamné comme coupable ? Quelles conséquences viendront de son aveuglement ? Ce point de départ aux issues forcément complexes offre à Fitzgerald la possibilité de tisser un scénario admirablement écrit, d’une objectivité précieuse. Sans nous mettre à distance des personnages – bien au contraire, il évite toutefois de les juger, puisqu’au fond, chacun d’eux pense agir pour le mieux. Un autre élément passionnant du film concerne les rapports étroits qui existent dorénavant aux USA entre la religion et la politique. Fitzgerald dénonce, non pas la foi, mais la religion comme déresponsabilisation, absence de remise en cause, dans un parallèle assumé avec les justifications religieuses d’un George W. Bush. La plus grande force du film réside dans cette ambivalence entre ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, ce qui blessera ou ne blessera pas, ce qui sera puni ou ne le sera pas. Et ce, jusqu’à un choc des rapports de classes, inévitable mais sans manichéisme, lors d’une fin courageuse. Forgiven réussit là où les autres films sur ces thèmes avaient souvent échoué, dans un panorama de personnages – et d’acteurs – tous plus justes les uns que les autres. Paul Fitzgerald est sans aucun doute possible un excellent directeur d’acteurs. La façon dont chaque phrase et intonation sonnent vraies tient du travail d’orfèvre. C’est sans conteste un des films les plus authentiques de la compétition. Le réalisateur, en observateur lucide et inquiet, force le respect par son équilibre entre humilité et responsabilité.
Dans le second film de la journée, SherryBaby, Maggie Gyllenhaal crève tout simplement l’écran. Sherry sort de prison après six ans derrière les barreaux. Elle n’a de cesse de retrouver sa petite fille, Alexis, qu’elle a quitté alors qu’elle était toute bébé. « De 16 à 22 ans, » clame t-elle, « la drogue a été l’amour de ma vie. Maintenant, c’est ma fille. » Seulement, les choses ne se passent pas comme prévu. Sa réinsertion est difficile, son frère et sa belle-sœur refusent de se séparer de la petite, et la gamine elle-même reste à conquérir. Avec un personnage loin d’être une traditionnelle « mère courage » chère à un certain cinéma, l’actrice laisse éclater un talent certain. Portant sur ses épaules la majeure partie du film, elle compose un personnage très humain – trop humain ? Cela la rend difficile à apprécier d’emblée, elle doit elle-même conquérir ses spectateurs comme elle doit convaincre les gens autour d’elle. Le film est à son image, patchwork d’éclats de vie d’une mère à peine sortie de l’enfance qui peine à trouver sa place alors qu’elle affronte une terrible solitude. Le film de Laurie Collyer traite, une fois n’est pas coutume dans cette sélection, des difficultés du bas peuple, toujours près à retomber dans les limbes de la société, hors des limites de la loi. Prenant avant tout du fait de la remarquable performance de son actrice principale, le film laisse cependant un goût de non dit et d’inachevé.
Vint ensuite l’ambitieux et iconoclaste A Scanner Darkly. L’animation est le principal défaut du film, et il est de taille, puisque c’était le pari majeur de son réalisateur, Richard Linklater. Bien sûr, l’idée de superposer l’animation aux vrais acteurs était séduisante, et cela fonctionne pour certaines scènes. Il apparaît cependant assez vite que ce choix visuel est tout sauf indispensable. Cette adaptation de Substance mort de Philip K. Dick se révèle bien plus passionnante que le prévisible Minority Report de Spielberg. Un agent des stups est infiltré dans un groupe afin d’enquêter sur les ramifications d’un trafic de « substance M », drogue hyperdépendante et aux tendances hallucinatoires. L’enquête le mène à devoir enquêter sur lui-même. Ce postulat de départ permet bien sûr au réalisateur de jouer sur la schizophrénie de son héros et sur l’ambiguïté des personnages secondaires. Le développement du récit est habilement construit et, réjouissons-nous, plutôt imprévisible. Mais un des vrais atouts du film est de jongler entre l’intrigue de l’enquête et le quotidien des membres du groupe, ce qui donne lieu à des séquences un peu répétitives mais totalement délirantes. S’y greffent les questionnements métaphysiques du personnage principal, antihéros fragile qui, comme le privé dans Blade Runner, n’arrive finalement jamais au bout de ses objectifs, et se trouve cerné par la solitude. A Scanner Darkly n’est pas un mauvais film, mais tout l’aspect visuel version BD-clippesque semble d’autant plus vain que l’histoire et les personnages suffisaient à porter le film. On ressent donc le film comme une tentative expérimentale manquée, sauvée seulement par une efficace narration et le jeu inspiré des comédiens.
La séance du soir offrait la première projection publique du nouveau film de Darren Aronofsky, The Fountain. Le réalisateur est de retour au festival après y avoir créé l’événement avec Pi, son premier film, et traumatisé Cannes et la Terre entière avec Requiem for a Dream. Son univers cryptique, exigeant, expérimental, faisait de cette Fountain un film attendu avec impatience, et une salle comble. Hugh «Van Helsing» Jackman et Rachel Weisz y campent les personnages d’un médecin de haut niveau et de sa femme, écrivain atteinte d’une maladie grave. Lui mène des expériences révolutionnaires de croisement thérapeutiques entre des animaux et des arbres (si !) ; elle raconte l’histoire de la reine d’Espagne au moyen-âge, qui envoie Jackman chercher l’Arbre de Vie. L’actrice campe donc la reine et son auteur, Jack le conquistador, le médecin et… une sorte de moine bouddhiste éthéré qui voyage auprès d’un arbre devie vieillissant vers Shilbalba, étoile mythique de la civilisation maya. Ça vous paraît confus ? Que cela soit dit : voir le film n’arrange rien. Une fois les premiers moments de poésie passés, The Fountain s’écoule dans trop de directions à la fois, desservi par un montage chaotique et une esthétique qui oscille entre un sublime éthéré et un rococo en polystyrène expansé. Si Jackman joue correctement ses rôles, on ne peut guère s’empêcher de penser que Rachel Weisz est Mme Aronofsky à la ville, ce qui a peut-être motivé son apparition au générique, tant sa performance rappelle le surjeu atroce de Monica Bellucci dans Les Frères Grimm. Le réalisateur a mûri son style dans ses deux premiers films, mais son dernier, pour le coup, est un peu blet. Aronovsky ne sait peut-être pas se débrouiller avec un budget manifestement conséquent. Ni passionnant, ni ennuyeux, ni génial, ni mauvais, le joli délire de Darren Aronofsky distille un ennui poli. Dommage.
Vendredi 8 et Samedi 9 septembre, suite et fin de la présentation de la sélection
Vendredi, 8 heures du matin. Comme le soulignait un journaliste présent : « c’est dur. C’est très très dur. » Les yeux ensommeillés, nous venons voir Bobby, le film réalisé par Emilio Estevez sur l’assassinat de Robert F. Kennedy, candidat d’une certaine idée de l’Amérique, en 1968. Lentement, le film démarre sur des extraits d’archives de ses discours, puis présente longuement et avec talent les résidents de l’hôtel Ambassador, où se tiendra le drame. Le casting est tout simplement époustouflant : Sharon Stone, Emilio Estevez, Harry Belafonte, Laurence Fishburne, Heather Graham, Anthony Hopkins, Ashton Kutcher, Helen Hunt, Shia LaBeouf, William Macy, Demi Moore, Martin Sheen, Christian Slater, Elijah Wood…Tous campent des personnages construits, attachants, humains, dont les rôles ont été tellement bien écrits que quelques minutes seulement suffisent à poser leur caractère, et à donner vie à cet été de 1968. « J’ai fini de rédiger le scénario peu avant le 11 septembre 2001 » raconte Estevez, « et quelque temps après… the world turned upside down. […] Après, plus le temps a passé, et plus le discours du film a fait sens. » Indéniablement, ressusciter Bobby aujourd’hui, c’est promouvoir un discours responsable socialement, écologiquement, intellectuellement, humainement, une véritable charge anti-Bush et anti-faucons de Washington. « Mes acteurs sont venus de leur plein gré, parce qu’ils voulaient faire une différence, » raconte le réalisateur. Svetlana Metkina, l’une des révélations du film, confirme : « c’est un film important, pour aujourd’hui, pour demain, pour toujours. » Rarement a-t-on vu un film aussi ouvertement politique, un tel cri de colère à la figure de l’Amérique de Bush. Pour le réalisateur, « on ne peut pas vivre dans notre monde, simplement respirer notre air, et ne pas être politisé. » Réalisé avec talent, interprété par une armada de stars (mais « aucune vedette n’est aussi importante que Bobby » souligne Estevez), monté avec maîtrise sur le modèle du film choral, Bobby est une sacré leçon de cinéma, d’intelligence et d’émotions. Deux heures plus tard, nous étions bien éveillés, et comme Estevez, « les yeux ouverts sur le monde ».
Après ce démarrage sur les chapeaux de roues, la sélection proposait aujourd’hui Stephanie Daley, le premier film de Hilary Brougher, et Thank You for Smoking, de Jason Reitman.
Stephanie Daley fait figure d’OVNI dans cette sélection, où le style cinématographique a toujours paru très maîtrisé, très expressif. L’image est ici dépouillée, neutre, froide et clinique. L’adolescente Stephanie Daley est accusée par la justice du meurtre de son enfant, conçu suite à un viol. Une psychologue est chargée de son dossier, et particulièrement de découvrir si l’enfant est mort de ses mains, ou s’il était déjà décédé. Lentement, le film oscille entre les réminiscences de la jeune fille et ses consultations avec la psychologue. Celle-ci, en parallèle, nourrit de plus en plus de doutes vis-à-vis de son couple, de son mari… et de la réalité de son désir d’avoir un enfant, alors qu’elle vient à peine de souffrir d’une fausse couche. Utilisant les allers-retours entre le présent et le récit au passé comme principal ressort narratif, Stephanie Daley est un film extrêmement dur. La scène de la mort du bébé de l’adolescente, même si elle principalement basée sur le hors-champ, est terrifiante – à tel point qu’un malaise a eu lieu dans la salle de projection. Mais le récit de la mort de son premier enfant par la psychologue l’est tout autant… Film d’une incroyable dureté, Stephanie Daley pèche par la froideur de son traitement visuel, et la lenteur oppressante de son scénario. Mais avant tout, le film pose avec audace la question du traitement d’un sujet d’une telle difficulté. Aux antipodes d’une méthode hollywoodienne, Hilary Brougher affecte une froideur que n’aurait pas reniée David Cronenberg dans son magistral Faux-Semblants. Mais là où le Canadien versait dans une fantasmagorie qui allégeait le propos, le rendant presque supportable, Stephanie Daley frise souvent l’inconcevable. Si les intentions du film sont novatrices et louables, sa forme trop froide et austère le dessert infiniment. Reste qu’une telle audace formelle et intellectuelle présage de grandes choses de la part de Hilary Brougher.
En comparaison, la séance de Thank You for Smoking, farce narquoise de Jason Reitman, ne se range pas dans la même rubrique. Jack Naylor, lobbyiste charismatique, est engagé au service du conglomérat des marchands de tabac. Alors qu’il est chargé de s’occuper de la réintroduction de la cigarette sur les écrans hollywoodiens, il doit aussi conquérir son jeune fils, qui n’est pas loin de le considérer comme la dernière des crapules. Donner le rôle de Jack Naylor à Aaron Eckhart, c’est s’assurer de voir à l’écran un lobbyiste des plus odieusement sympathiques. La star masculine de Conversation(s) avec une femme campe son personnage avec le brio attendu, monument de cynisme goguenard et sûr de lui. Le potentiel mordant d’un scénario tel que celui de Thank You for Smoking saute aux yeux. On ne compte plus les trouvailles : le fils de Jack réussit à convaincre sa mère grâce aux conseils avisés de son lobbyiste de père ; les représentants des lobbies des armes, des automobiles et du tabac se font de petites réunions sous le titre de M.O.D. (Merchants of Death) ; le film nous place en position de sympathie totale avec ce monstre de Jack Naylor… Tout cela fonctionne très bien – Jason Reitman n’est pas le fils d’Ivan pour rien… – et le film est très drôle (mention spéciale, d’ailleurs, à Rob Lowe en obi rouge). Thank You for Smoking est une comédie de très bonne facture, agréable à suivre, dotée d’un bon rythme… Rien à dire. Rien à dire, sinon que rendre aussi sympathique le lobbyiste des marchands de cancer, soit. Ridiculiser le sénateur qui se bat contre lui en lui donnant le rôle d’un croisé du cheddar, admettons (encore que…). Mais la véritable part d’ombre du film est qu’il reste toujours parfaitement crédible : l’Amérique d’aujourd’hui est celle du triomphe du sourire Colgate, de la tête de gendre idéal, et du jésuitisme corporatiste. Aux USA, le film a plu aux deux camps politiques. La gauche y a vu une critique du lobbying, la droite son apologie. Chacun voit midi à sa porte. Il n’empêche. Un homme de droite voit une crapule hypocrite, amorale, manipulatrice, corrompue, arriviste, se retrouve pleinement dedans et s’en glorifie ouvertement ? Comme il est dit dans le film : « c’est dégoûtant ! » « C’est américain. »
La sélection officielle ayant été très majoritairement à tonalité réaliste, et donc passablement dramatique, elle se devait de se terminer sur une comédie. Après le féroce Thank You for Smoking, voici venir en ce samedi matin The Oh in Ohio, de Billy Kent. Priscilla et Jack Chase traversent une crise dans leur couple : elle n’a jamais connu l’orgasme, lui le ressent mal et finit par la quitter, par dépit. Alors que lui, professeur de biologie en lycée, entame une relation avec l’une de ses élèves, elle découvre les miracles de la masturbation, des plaisirs solitaires et d’une vie sexuelle toujours plus débridée. Comédie de l’ère Ally Mc Beal – Sex and the City – Six Feet Under, The Oh… ressemble dans sa première partie à un assemblage de sketches plus ou moins drolatiques, mais que l’on pourrait croire adaptés de la colonne comics d’un journal démocrate. Sa seconde partie, plus construite et plus intéressante, tient de la comédie romantique la plus traditionnelle. Pas très original dans la forme donc, et loin d’être aussi universellement drôle que Thank You for Smoking, The Oh… possède toutefois ce qui manque au film de Jason Reitman. En ne se prenant pas au sérieux, il dépeint une Amérique nageant en plein bonheur grâce à l’adultère, le lesbianisme, la sexualité assumée, les relations avec des partenaires ayant plus de 20 ans de différence… (on retiendra d’ailleurs les compositions délirantes de Liza Minnelli en gourou de la découverte de son vagin, et Danny De Vito dans le rôle de Wayne le Gars des Piscines). Et le père de famille complètement WASP de féliciter fraternellement le professeur de biologie de sa fille, ignorant que celle-ci est sa maîtresse ! On est loin de l’Amérique rêvée par Bush, assurément. Clore cette sélection officielle sur cette douce ironie au parfum licencieux de la sexualité acceptée et assumée est bien agréable.
Le Festival de Deauville a donc cette année une sélection intellectuellement engagée, stimulante – exception faite du plat Little Children, qui ne se compare en rien à ce que nous avons eu l’occasion de découvrir hors compétition. Le cinéma institutionnel des USA est manifestement venu à Deauville pour se montrer, sans se remettre en question (voir World Trade Center, The Fountain, Black Dahlia…) Mais d’autres avaient des choses à dire : Primer, qui consacre Shane Carruth comme un futur grand, Bobby qui dépasse toutes les espérances, et les perles de la sélection (Half Nelson, Forgiven, Twelve and Holding…). Ceux-là prouvent bien que le cinéma américain est loin d’être aussi monolithique que ce qui est vu en France peut laisser croire. Il pense, il sent, il réagit, et vaut largement le coup d’être redécouvert. Reste à présent à voir ce que consacrera le jury de Nicole Garcia…
Deauville : un épilogue
Les honneurs de la compétition seront donc allés à Little Miss Sunshine. Un choix logique, attendu, et finalement décevant. Avec des films comme Forgiven, Twelve and Holding, Half Nelson, ou Stephanie Daley, la sélection avait montré un visage de l’Amérique blessé, en proie au doute et à l’angoisse, un visage humain en somme. Le choix du Festival est donc celui de la sécurité. Ce sont les valeurs sucrées d’une Amérique gentiment troublée mais finalement assez stable qui ressortent dans le film. En ces temps de chaos, les spectateurs ne veulent voir qu’un cinéma optimiste, consensuel : le succès du sleeper Little Miss Sunshine outre-Atlantique le prouve encore. Deauville, en consacrant ce film, est aussi politique que Cannes avec Fahrenheit 9/11, à sa manière. Quand bien même les USA seraient en proie aux doutes et aux échecs dépeints dans les films les plus réalistes de la sélection, il convient de donner une chance à l’Amérique optimiste jusqu’à la nausée de Little Miss Sunshine. Dommage pour ceux, cinéastes et spectateurs, qui auraient voulu voir le talent et l’engagement intellectuel et moral récompensés.