Après deux épisodes ayant rapportés plus d’un milliard de dollars au box-office, c’est au tour de David Slade, réalisateur « vampiriquement bankable » depuis 30 jours de nuit, de reprendre le flambeau de la franchise la plus rentable du cinéma américain pour ce troisième volet des aventures de Bella Swan et Edward Cullen, qui fait trépigner d’impatience, depuis des mois, des millions d’adolescentes. Si les deux précédents ne brillaient ni par leur originalité dans le traitement du mythe des vampires, ni par leur réalisation, Hésitation se révèle un peu moins indigent scénaristiquement. Toutefois en conservant son puritanisme d’un autre siècle, ses chassés-croisés amoureux puérils et sa mièvrerie ambiante, Twilight 3 démontre l’efficacité financière d’un cinéma systématisé, sans âme et sans scrupule.
Fi des ellipses narratives (le spectateur pourrait ne pas suivre), Twilight 3 commence là où le 2e chapitre s’était achevé : la demande en mariage d’Edward. Après ce suspens intenable (Bella va-t-elle accepter la proposition ?), le public sera rassuré d’apprendre que la réponse est oui. Mais comme la vie d’un couple mixte (humain/vampire) n’est jamais simple, des disparitions mystérieuses à Seattle perturbent le quotidien tranquille des deux amoureux. Victoria, la rousse vengeresse, lève une armée de suceurs de sang pour éradiquer Bella et le clan Cullen. Heureusement, à Forks (État de Washington), outre une famille de vampires, réside aussi une fratrie de loups-garous. Jacob (Taylor Lautner), lycanthrope bodybuildé, éperdument épris de Bella, va tout tenter pour protéger la jeune fille. Allant même jusqu’à suspendre la guerre ancestrale qui sévit entre les deux espèces.
Construit autour du triptyque amoureux Bella/Edward/Jacob, Hésitation porte bien son nom, tant la pauvre adolescente paraît incapable de choisir entre un vampire blafard et un loup-garou métis. L’alternance des séquences en duos permet à chaque « mâle » de tenter sa chance. Mais ce « speed-dating » cinématographique, sans rythme véritable car sans enjeu, alourdit péniblement un film qui ne brille guère par son dynamisme. Si la séduction demeure une constante entre les personnages (déjà à l’œuvre dans les deux épisodes précédents), cette sarabande censée émoustiller ne dépasse jamais le sexuellement correct, mais prône au contraire l’abstinence entêtée.
Réactionnaire dans son traitement apparent des relations charnelles (prohibées), Twilight distille pourtant, autant dans le scénario que dans l’iconographie, une morale souterraine quelque peu déviante. Bella et Victoria usent ainsi de leurs charmes physiques pour obtenir des faveurs. Alors que la rousse (symboliquement déjà chargée) incarne le Mal à détruire, Bella, elle, la brebis innocente peut aguicher à tour de bras sans pour autant que cela lui porte préjudice aux yeux des spectateurs. Ce traitement dystrophié d’une même ficelle dessert la cohérence de la narration, mais surtout pointe le caractère racoleur du film. Alors que toute sexualité, frappée du sceau de l’infamie, est impossible pour les protagonistes, la mise en scène ne cesse d’exciter la libido adolescente des spectatrices à coups de loups-garous ultra musclés, torse nu et short en jean (le climat de Seattle est peut-être plus tropical qu’il n’y paraît), ou d’apparitions du bellâtre Edward (torse nu mais dans un style plus gringalet, histoire que tout le monde y trouve son compte). Évacuant la chair de son discours, mais imposant une imagerie sexuée, Twilight 3 joue la partition sainte-nitouche de façade, pour mieux égrener les clichés é‑cul-és des magazines de mode.
Étrangement, si Twilight est devenu un phénomène de mode mondial, reprenant à son compte les archétypes d’une beauté stéréotypée très dans l’air du temps (le surfeur bronzé ou le punk livide), le film évite pourtant le branding vestimentaire qui transforme les acteurs en porte-manteaux. Pas de marque apparente ou de surlooking effréné, mais plutôt une ascèse de l’habillement, hors des tendances, hors du temps. Cette absence de marquage publicitaire, alors même que le public-cible se présente comme le consommateur idéal, procure à Twilight une miette de cet universalisme intemporel, qui irrigue le mythe vampirique à travers le monde depuis plusieurs siècles.
Scénaristiquement parlant, ce troisième volet s’éloigne toutefois légèrement de ses prédécesseurs. L’utilisation du flash-back évite au film de sombrer dans l’anorexie narrative des deux premiers. Les scénaristes (peut-être inspirés par la série télé True Blood) ont enfin utilisé une spécificité vampirique : l’immortalité. Mordus dans le passé, les descendants de Dracula ont donc tous une généalogie singulière ancrée dans des époques à forte teneur cinématographique. La Grande Dépression pour Rosalie Cullen (Nikki Reed) ou la guerre de Sécession pour Jasper Cullen (Jackson Rathbone). Utilisant comme toile de fond les événements marquants de l’histoire américaine (choix un poil trop ethnocentré), Twilight n’en envisage malheureusement que la plastique (costumes, décors…) sans en saisir la dimension mythique qui aurait pu donner enfin de la substance à ces êtres vides de psychologie. Une bonne idée narrative qui demeure artificielle, faute d’être intelligemment incorporée au récit qui nous occupe. Même constat pour le flash-back des loups-garous, légende indienne mise en image de façon gratuite.
La première et l’ultime séquence de Twilight se répondent en écho. Bella et Edward sont alanguis dans une clairière ensoleillée, se contant fleurette. Rappelant les pastorales d’une littérature surannée, censée inculquer un sens moral irréprochable aux adolescentes virginales qui n’auraient pas encore vu le loup, ces scènes jumelles symbolisent parfaitement les enjeux du film. Sous couvert d’une histoire d’amour (peu crédible car désincarnée), Twilight sème les germes d’un nouvel ordre moral. Le vampire se transforme alors en cheval de Troie. Caché sous les atours séduisants d’une créature sexuée, le puritanisme entre dans les salles obscures pour mieux « vertualiser » les pécheurs. Attention, la guerre Twilight aura lieu.