Alors que son fils lui annonce qu’il va assister à un match de l’OM, Alexandre (Jean Dujardin) l’exhorte à faire attention, avant d’ajouter : « tu sais bien que ma terreur c’est les mouvements de foule ». Situé au milieu du film, l’échange pourrait paraître parfaitement anodin dans le cadre de cette comédie romantique qui met en scène la rencontre entre Diane, avocate jouée par l’espiègle Virginie Efira, et Alexandre, homme parfait – à ceci près qu’il fait 1m36. Pourtant, elle est emblématique de ce film dont la morale est, très littéralement, « on s’en fout des autres ». « On s’en fout des autres » : au diable le regard de la société qui entrave l’élan amoureux entre la belle et l’homme de petite taille. Mais aussi, « on s’en fout des autres » : au diable les autres, tout simplement. Un homme à la hauteur s’inscrit dans une lignée de comédies populaires contenant en elles une violence symbolique énorme, un impensé qui irrigue les films et tend à déréaliser le monde qu’ils dépeignent. Un monde ici réduit à quelques avocats et dîners d’affaires, des architectes et des fils à papa, où la présence du peuple se résume à une femme de ménage dilettante profitant de la gentillesse de son patron pour se la couler douce.
Mais au fond, et alors ? Ou plutôt, pourquoi cela poserait problème ? Le souci d’Un homme à la hauteur tient à sa façon de dissocier la question de la différence (sujet de fond de la plupart des comédies françaises récentes, de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? au Grand Partage) de celle des classes : en se recroquevillant sur un milieu grand-bourgeois, la partie dramatique du film, où Alexandre clame avec le plus grand sérieux « connaître la souffrance », tombe platement à l’eau. Car si cet arbitraire de la taille peut se concevoir sur un plan burlesque – ce que le film n’osera jamais faire –, il peine par contre à convaincre lorsque le récit s’attelle à faire de cet architecte, toujours prêt à dégainer pour son fils un des billets de cent euros qui remplissent ses poches, une figure de victime. Alexandre apparaît de fait comme un personnage très théorique, lisse et sans profondeur, chez qui seuls les fameux quarante centimètres manquants (sur lesquels repose tout le film) font office de traits distinctifs.
En arrière-plan
Là où le film devient un peu curieux, c’est que cet impensé de classes et ce « on s’en fout des autres » résonnent dans plusieurs situations de comédies : sous le choc de la découverte de l’identité de son possible gendre, la mère de Diane prend à contre-sens une route bondée ; dans une soirée dansante, les corps de Diane et d’Alexandre (retouché numériquement) se détachent du reste de la foule, comme une bulle incrustée qui ne colle pas avec l’arrière-fond. Au-delà de ce que ces scènes trahissent, soit le repli d’une petite élite qui n’arrive pas à cohabiter avec autrui, il y avait là un beau sujet, celui d’une femme (plutôt finement joué par Virginie Efira, dont la légèreté et la douce drôlerie sont les atouts du film) en équilibre entre le monde physique et la sphère semi-numérique où évolue Alexandre, dont les premières apparitions sont d’une étrangeté réelle : il ressemble à un bug dans un univers lissé, une anomalie au sein d’un milieu très cadenassé.
Mais le potentiel du film, comique pour ce corps masculin, dramatique pour ce personnage féminin, se heurte à une écriture systématique qui se contente de sommaires jeux d’échelles jouant sur la taille d’Alexandre (exemple : un plan serré laisse place à un plan large) pour amuser son audience. Si bien que ce corps en principe étranger ne dérègle pas, comme il pourrait pourtant le faire, l’ordre du microcosme au cœur du film : hormis sa petite taille, il s’y fond complètement.