Sept ans après la sortie de L’Exercice de l’État, Pierre Schoeller délaisse les couloirs feutrés des ministères et leurs gestions de crises pour les quatre années de tumulte séparant la prise de la Bastille de l’exécution de Louis XVI. À force de vouloir coller au plus près de la réalité historique, le réalisateur perd en cours de route tout ce qui pouvait constituer l’intérêt de son précédent travail : en prenant à l’époque ses distances avec toute figure politique connue – il ne cherchait même pas à identifier le ministre dont il faisait le portrait comme de droite ou de gauche –, le réalisateur parvenait à porter un regard transversal et plein d’acuité sur les ambiguïtés de l’exercice politique, rompu à toute une série de rituels cyniques. Avec Un peuple et son roi, Schoeller semble considérer qu’il ne peut pas emprunter une voie similaire, quitte à faire de son film un livre d’histoire illustré, laissant la figuration de l’événement prendre le pas sur tout autre parti-pris de mise en scène, jusque dans l’écriture du récit, scolairement organisée en chapitres chronologiques. Les années 1789 à 1793, pourtant riches en rebondissements et particulièrement complexes dans les rapports de force politiques en présence à ce moment-là, sont ici limitées à quatre moments-clés : la prise de la Bastille (exit tout ce qui a pu précéder et nourrir la colère progressive du peuple), l’arrestation du roi à Varennes (sans que son contexte soit vraiment compréhensible), la prise des Tuileries puis le procès du roi jusqu’à son exécution.
L’image plate
Déséquilibré dans sa construction et dépourvu d’un véritable point de vue d’auteur, Un peuple et son roi tente malhabilement d’articuler sa structure autour de deux niveaux de récit : d’un côté, la représentation du peuple à travers une famille pauvre des quartiers populaires parisiens et de l’autre, les notables de l’Assemblée Nationale, chargés d’édifier un nouveau modèle politique mettant un terme à l’absolutisme. Comme le scénario peine à créer une résonance entre ces deux regards témoins du renversement de l’Ancien Régime (jusque dans le poussif montage parallèle final entre le procès du roi et le lent apprentissage d’un travail manuel par un homme du peuple), la mise en scène se réfugie le plus souvent derrière un symbolisme facile : par exemple, dans les premières scènes, la destruction du mastodonte de la Bastille permet aux rayons du soleil de pénétrer enfin les ruelles sombres du Paris populaire. Les dialogues – le plus souvent édifiants de banalité – font quant à eux sombrer le film dans l’illustration la plus attendue des sentiments révolutionnaires. Nourri par la relation complexe que le peuple entretenait avec son monarque (jusqu’au titre qui met en exergue ce rapport de force), le long-métrage de Pierre Schoeller s’avère d’une timidité décevante au regard des moyens déployés : engoncé dans une esthétique de carton-pâte qui convoque parfois le souvenir peu flatteur de Jacquou le Croquant de Laurent Boutonnat, Un peuple et son roi se limite le plus souvent à enfoncer des portes ouvertes, incapable de reproduire le vertige suscité par cette violente transition politique. Le pompon revient probablement à Laurent Lafitte, grimé en un Louis XVI hanté par la crainte d’avoir trahi sa lignée, recevant dans son sommeil la visite de ses ancêtres peu avares en reproches.
Les acteurs en perruques
Pour des raisons probablement commerciales, le réalisateur a fait appel à tout un gratin de stars pour peupler son univers. Mais au lieu de tirer le résultat vers le haut, ce choix de casting ne fait que souligner l’échec du film à s’affranchir de la lourdeur d’une reconstitution de luxe pour donner un véritable corps à ce soulèvement populaire. Face au statisme des acteurs incarnant ce peuple militant prêt à risquer sa peau pour défendre ses idéaux (Adèle Haenel au regard frondeur, Gaspard Ulliel en lunaire, Céline Sallette en gouailleuse), s’affiche la composition outrée de ceux censés prêter leurs traits aux figures incontournables de la Révolution Française et dont les livres d’histoire se souviennent (Louis Garrel – air contrit, regard par-dessus les lunettes – en Robespierre, Denis Lavant – cabotin comme jamais – en Marat). Le plus souvent ridicule à faire autant valoir son sérieux alors qu’il est incapable de produire la moindre réflexion sur le sujet, Un peuple et son roi surprend par l’ampleur de son échec. En dépit des quelques efforts numériques à tenter de reconstituer le Paris de la fin du XVIIIe siècle, le résultat a à peu près tous les défauts de la pièce de théâtre filmée interminable. Étouffé par l’académisme du dispositif et probablement charcuté au montage, le film de Pierre Schoeller n’a même pas l’avantage d’être pédagogique : les véritables enjeux historiques et politiques sont le plus souvent rendus illisibles, tués dans l’œuf par l’omniprésence accordée aux personnages (et donc aux acteurs) sur tout ce qui pouvait constituer la matière même d’un projet aussi ambitieux.