Gémellité contrariée in utero, légendes du folklore juif, expériences médicales dantesques menées sous le Troisième Reich… Pour changer son ordinaire de remakes ineptes de fleurons du cinéma d’horreur ou d’angoisse des années 1970 – 80 par des tâcherons issus du clip et de la pub (Massacre à la tronçonneuse, Amityville, Hitcher…), Michael Bay et sa société de production Platinum Dunes, qu’il a fondée en 2003 pour exploiter ce filon, ont cette fois décidé de miser sur un scénario original écrit et mis en images par une valeur un peu plus sûre de Hollywood. Contrairement aux fabricants d’images publicitaires habituellement débauchés par Bay pour ce type de production (Marcus Nispel (Massacre à la tronçonneuse, Vendredi 13) et d’autres plus anonymes), David Goyer n’est pas exactement un novice du cinéma. Scénariste ayant débuté dans le film de castagne (Coups pour coups avec Van Damme, Kickboxer II) pour privilégier rapidement le fantastique (The Crow II, Dark City et d’autres productions plus oubliables), c’est dans l’adaptation de comic books qu’il a consolidé durablement sa réputation à Hollywood. D’abord avec la trilogie Blade où Wesley Snipes incarnait un super-héros noir mi-humain mi-vampire ; mais surtout avec le retour au cinéma de l’emblématique Batman recréé sous le signe du terre-à-terre pessimiste, dans une série de films réalisés et coécrits par Christopher Nolan — à ce jour Batman Begins et The Dark Knight.
À ses casquettes de scénariste et de producteur lui assurant désormais une carrière plutôt confortable, Goyer tente parallèlement d’ajouter celle de réalisateur — pour des résultats beaucoup moins convaincants. C’est ainsi qu’il a pratiquement sabordé, justement, la trilogie Blade : en passant derrière la caméra du dernier épisode, Blade : Trinity, qui prenait la forme d’une autoparodie peut-être involontaire, en tout cas lourde de son ton distancié forcé et de sa « coolitude » jeuniste affichée. Son film suivant, le thriller fantastique Invisible, était moins raté mais pas beaucoup plus intéressant : basé sur un script écrit par d’autres que lui, il achevait de marquer ses limites artistiques. Scénariste plutôt inspiré nourri d’une assez large culture populaire (Batman Begins, notamment, en tire beaucoup de son sel), Goyer se révèle un cinéaste sans personnalité, meublant sa mise en scène par des gadgets visuels (dans Invisible, les mouvements de caméra à la sophistication répétitive pour faire se croiser morts et vivants) et ressassant un propos sur l’adolescence sans doute moins caricatural que la moyenne, mais n’échappant pas, sur le fond, aux schématismes ou à la sur-écriture empêchant de croire en une réelle inspiration.
La malédiction du dibbouk
Ce sont ces travers qu’on retrouve dans cet Unborn écrit et réalisé par lui. Il a manifestement bien planché sur le mythe du dibbouk et les exorcismes, peut-être lu Stephen King et quelques anecdotes médicales insolites. Mais de cette richesse culturelle, il est bien en peine de faire du cinéma intéressant, a fortiori du cinéma horrifique efficace et pertinent. Son intérêt pour les héros adolescents sert tout juste à aligner quelques lieux communs psychologiques et à remplir le quota de racolage propre aux productions Michael Bay, excuse à l’apparition régulière de la jeune et jolie héroïne en sous-vêtements — dont l’interprète Odette Yustman semble avoir été plus choisie pour ses traits communs avec Megan Fox, la poupée brune de Transformers, que pour ses talents de comédienne. Mais c’est dans le petit artisanat de l’horreur ici déployé qu’on ressent cruellement le manque d’une vision de cinéaste.
On retrouve dans ce film une conception assez répandue, très pauvre et réductrice de l’horreur au cinéma, envisagée comme une suite d’effets choc — « Bouh !» — soigneusement annoncés et surlignés par le montage, les mouvements d’appareil et la musique, enchaînés à intervalle régulier telles des apparitions sur le trajet d’un train fantôme, parcours tellement schématique sur le plan des images que celles-ci ne peuvent plus guère toucher, encore moins effrayer, menacées même par le ridicule. La mise en scène impersonnelle de Goyer tombe totalement dans ce piège, déployant à l’envi les effets d’une grammaire filmique des plus limitées se voulant tantôt suggestive (les travellings sur de menaçantes silhouettes vues de dos dont on attend qu’elles se retournent et se révèlent) tantôt surprenante (le coup, usé jusqu’à la corde, de la porte-miroir de l’armoire à pharmacie qu’on ouvre et qu’on ferme…). On n’est guère surpris de trouver dans les effets spéciaux la seule trace de créativité et d’efficacité du film, avec notamment l’apparition d’un chien anthropomorphe difforme des plus réussis. Mais la somme de ce travail prosthétique et d’une intrigue alimentée de plusieurs sources culturelles reste insuffisante à faire le film de genre à la fois efficace, sensible et thématiquement riche auquel Bay, producteur trop attaché à ses recettes, et Goyer, cinéaste inconsistant, semblent avoir pensé.