Quand l’expression « trop court » convient à merveille au précédent documentaire Pork and Milk de Valérie Mréjen, « trop pressé » résume sa dernière création, Valvert. Adepte des formats télévisuels (52’), après avoir écouté les histoires troublantes de juifs ultra-orthodoxes devenus laïques, l’artiste aux multiples facettes s’intéresse à un hôpital psychiatrique, dans un film de commande au souffle court.
Valérie Mréjen n’a pas voulu brusquer le quotidien fragile de Valvert, ponctué de silence et maladies sourdes. Elle filme en plans fixes les allées et venues des uns et des autres, que ce soit à l’intérieur de l’hôpital ou aux alentours, les patients déambulent sans peur ni crainte, en toute liberté, comme il est coutume de le faire depuis les années 1970, dans cet hôpital marseillais créé « dans un esprit d’ouverture et de libre circulation ».
Puisqu’au départ, Valvert devait recueillir la parole des soignants, chacun s’exprime sur son métier, expose quelques anecdotes et soulèvent des limites à un système en voie d’extinction. Psychiatre, infirmière, documentaliste, aide-soignant défilent, assis devant une caméra prête à recueillir des confidences académiques. Quand la fadeur des témoignages ennuie, le hors champ stimule. Sans cesse, les patients souhaitent interagir avec l’objet filmique. Ils interrompent des conversations solennelles, interpellent la caméra, l’invitent à les écouter, ce qui suscite un embarras difficile à aborder et bien souvent, rocambolesque. À l’inverse, quand la réalisatrice cherche à aller à l’encontre des patients, elle trébuche. L’effet de surprise naît de l’inattendu disparaît au profit de l’attendu. Un patient, seul au milieu d’un terrain de pétanque clame : « Je cherche un partenaire. » La question reste en suspens. Il fixe la caméra. Le plan s’éternise, la gêne s’installe, le regard perdu de l’homme titubant continue, et Valvert devient voyeur à force de vouloir saisir l’insaisissable folie des hommes. Valérie Mréjen cherche un déclic sans y parvenir en oubliant que la solitude se filme avec pudeur non comme une volonté absolue de démontrer.
Le film tourne autour des patients, cherche à s’introduire dans un univers aveugle, sans savoir où sont les limites. La réalisatrice tâtonne. Habituée à laisser place à la parole, au discours dans Pork and Milk, il lui faut balayer ces idées de mise en scène pour attendre un élément déclencheur. Et cette obsession du fortuit la condamne à montrer des actes, gestes, discours, incompréhensibles et inaudibles. Pourtant, même si la folie n’a pas de sens, la cinéaste peut lui en donner. Certes, l’objet est une commande. Néanmoins, l’un des patients se demande « Un film, mais pour quoi faire ? » Oui, pourquoi ? Filmer les rencontres à la cafétéria, les parties de pétanque, de dominos, les cigarettes échangées, cela conditionne l’atmosphère, mais qui sont ces patients ? Quel mal les ronge ? Quelles sont les relations établies entre ce lieu et leur univers ? Impossible d’y répondre.
Valvert doit saisir le spontané. Et le penser aussi. Les longues semaines de préparation, les repérages, la cohabitation entre l’équipe technique et l’hôpital servent à alimenter cette spontanéité pour ne plus rester cet intrus qu’on regarde comme par étonnement (dans La Vie moderne de Raymond Depardon, une brebis est la seule surprise par la caméra tandis que les fermiers l’acceptent et ne la regardent plus comme un objet incongru). Tout au long de Valvert, des thèmes sont soulevés (la sécurité, la solitude, l’enfermement) mais la réalisatrice les effleure sans oser les aborder de front ou sinon avec maladresse, en passant un acte solitaire par exemple, pour une cocasserie. Rire devant la folie des hommes n’est pas l’intention de Valérie Mréjen, nous en sommes persuadés, sauf que la bizarrerie des propos apposés de but en blanc face au sérieux du personnel peuvent amener le spectateur non pas à l’empathie, mais au ricanement, réflexe naturel, en dépit de son aspect méprisant.